Twitter et les psychanalystes

     
  séance d'analyse

 

Une des caractéritiques de Twitter, c'est l'ouverture et l'extension des agendas et des carnets d'adresses dans l'immédiateté. Cette opération s'effectue de deux manières: par l'ensemble des "je te suis-tu me suis" figurant sur chaque compte, par le chevelu des indications courtes reliées à des liens (sites, blogs etc). La plupart de ceux qui ont été ou sont encore de grands blogueurs utilisent Twitter sans pseudo: c'est donc leurs faits et gestes, leurs activités, leurs intérêts, leurs avis qui apparaissent en clair aux yeux de tous. Cela entraine une nouvelle culture de la notoriété à grande échelle. Pour ceux qui sur ce support disent être psychanalystes et pour tout psychanalyste qui se sert ou aimerait se servir de Twitter, il y a donc un ensemble de problèmes que l'on peut résumer pour l'instant sous deux rubriques:

 
 
1.Trop d'indications sur soi, trop d'extension du bruit de la vie personnelle , ne risque-t-il pas de rendre impossible la création d'un cadre psychanalytique pour une vraie séance d'analyse? On sait que l'analysant doit pouvoir être libre de laisser aller toutes ses projections dans le transfert. Si l'analyste donne constamment des indications sur ce qu'il fait dans sa vie sociale, ces multiples éléments de réalité ne vont-ils dévoyer des éléments tranférentiels en leur donnant des supports précis? J'aurais quelques exemples que je ne souhaite pas publier par discrétion.
2.Faut-il confier au psychanalysant seul le soin et l'organisation de la discrétion? Il peut et c'est son droit se mettre à nous suivre, poster des twitts que nous ne pourrons pas ignorer, mettre lui même toutes sortes d'aspects de sa réalité sociale en relation avec la réalité sociale de l'analyste, aux yeux de tous, dans la twittosphère (qui risque dans ce cas de se mettre à fonctionner comme pseudo-Tiers). Il ne saurait être question de poser des interdits à l'analysant et il n'y a qu'une seule règle fondamentale pour la pratique de l'analyse. Quand bien même on aurait le courage personnel d'affronter ce genre de péripéties prévisibles, on ne voit pas par quel accord miraculeux le psychanalyste serait capable de faire entrer tout ce matériel "cultivé externe" dans le transfert-contre-transfert, qui seul permet d'interpréter. Le croire serait de la mégalomanie. Dans la plupart des cas le plus probable sera l'instauration inconsciente d'un clivage, ou d'une connivence, l'un et l'autre défavorables au processus psychanalytique.

 
  C 'est parce que je pense que l'internet et toutes ses possibilités et transformations seront d'un usage de plus en plus général que je crois qu'il nous faut réfléchir de plus en plus à nos pratiques. Autant que possible, la séance doit pouvoir rester un espace de "non-bruit", afin que le psychanalysant puisse entendre ce qu'il dit. En ce qui concerne "le bruit", n'en rajoutons pas une couche.  
 

Dans l'activité des psychanalystes, une des choses qui fonctionnent très bien sur Twitter, ce sont les rendez-vous des groupes ou des personnes pour telle manifestation, tel cours, telle conférence. Ce qui est intéressant, c'est évidemment les avis des participants à ces manifestations. Lorsque je faisais le site du Quatrième Groupe , j'avais en 2000 crée une rubrique "après-coup" :j'avais ainsi mis en ligne plusieurs petits textes de réactions à la conférence de Sherry Turkle(1).Cette pratique n'a pas été retenue et elle n'apparait pas non plus sur les sites des grandes organisations psychanalytiques telles la SPP. Je crois pourtant que ce "retour" est nécessaire, que l'on doit l'entendre, même s'il est négatif ou nous pose des problèmes. Quelques petits exemples:

   

Syrenecarlate Juliette
Passionnant séminaire sur l'histoire de la psychanalyse à l'EHESS. Nous étions trois. C'est bien triste.

FreudseFache FreudseFâche
@laurapsy Tenez bon ce samedi ! L'Institut de Berlin était une contingence heureuse pour les débuts de la psychanalyse ! Mon coeur y était.

  Et puis il y a l'usage de Twitter par les psychanalysants. A coté des affirmations enfantines du genre "j'ai le meilleur analyste du monde" (mais oui, bien sûr!), il y a quelques moments de nature à toucher un psychanalyste. C 'est le cas à mes yeux pour cette personne " jemenfous" qui ne poste que les dates et heures de ses allées et venues vers sa séance..Je n'exclus pas que ce soit un montage(un artifice, un pari comme on en voit tellement sur le web, ou un truc genre de ce qu'avait fait Amélie Nothomb avec les blogs), mais si ce n'est pas le cas (ce que j'ai envie de croire) je suis sensible au fait que "cette personne" tient d'autre part un blog qui s'intitule "jenairienàdire" dans lequel ce qu'elle dit n'arrive que négativé. Elle évoque aussi le silence, qu'elle semble connaitre.
De l'apparition du "silence" dans les tourbillons de buzz de Twitter, je ne me fous pas.
 
  1.Des animaux familiers virtuels aux poupées numériques :
Quelques réflexions concernant les artefacts relationnels.
faite à Paris le 18 novembre 2000 à l’invitation du Quatrième Groupe.
 
  Geneviève Lombard , Bordeaux le 9 janvier 2011