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Jocelyne , le mouvement de ta réflexion- quand tu parles
d'un déni de la séparation - met en évidence une
interrogation centrale, interrogation qu'un passionnant article de
Marie-Françoise Guittard-Maury développe dans des termes assez voisins
à propos des correspondances par lettres. Comme elle étudie toutes les
possibilités et les pièges de ce mode de correspondance quant à la vie
psychique, il nous devient peut-être plus facile de voir les aspects qui
persistent et ceux qui se trouvent "changés" par les
pratiques cyber (Note1).
Au début de cet article, on lit: la séparation est aussi
le fait même de l'individuation, donnée constituante que
n'efface, sauf dans les états pathologiques, aucun fantasme d'union ou de réunion"..
et à la fin: .."les jeux de la correspondance sont aussi ceux de la
bobine, mais il arrive que la bobine soit utilisée comme un pharmakon et ne donne que l'illusion de nous délivrer du manque".. |
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Revue Française de Psychanalyse, La séparation, 2001
L'article que je cite commence par un commentaire de ces deux tableaux de
Gabriel Metsu
Jeune homme écrivant une lettre, Jeune fille recevant une lettre.
Posez la souris sur l'image pour faire arriver la lettre :-) |
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Est-ce
que "j'aime votre absence..? |
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Tu te demandes si les relations
virtuelles que nous avons avec les autres dans les communications
Mails et News par exemple sont réellement des communications avec les autres, ou si un tel "échange" pourrait n'être
qu'un lien avec soi-même, les vrais enjeux restant
purement narcissiques. .Il me semble que, pour ces problèmes
comme pour tous les autres dont nous "parlons", c'est
aussi différent pour chacun de nous que sont différents nos
propres fantasmes de séparation et nos propres mode de création
de liens. Essayons tout de même de généraliser un peu. Je
dirais qu'une des premières différences, c'est que la
web-correspondance est plus souvent portée par le désir
de rencontrer quelqu'un qu'on ne connaît pas encore, que par la
volonté de garder quelqu'un présent malgré son éloignement.
Désirer la rencontre suppose déjà qu'il y a -au moins a minima-
de l'alter à rechercher (ou que celui qui commence une
telle correspondance ne se considère ni comme
auto-suffisant, ni n 'est définitivement persuadé que l'autre
n'est qu'une illusion). Elle commence souvent entre des personnes
qui n'ont jamais été ensembles dans la réalité et qui
n'ont a priori aucune raison de vouloir - par des échanges épistolaires-
réanimer les traces, souvenirs et affects vécus dans les temps
de présence réelle. La tentation fétichiste me parait dès lors
être moindre, ainsi que toutes les astuces habituelles de la
pulsion d'emprise. Madame de Sévigné semble vouloir
"garder" sous ses conseils sa fille qui est au loin ,
garder une place psychique sans cesse réactualisée dans l'esprit
de sa fille, se faire "nourrir" par elle("quand je
viens d'en recevoir, j'en voudrais bien encore") et ce
faisant, conserver son élan littéraire en partie grâce à cette
forme d'addiction entretenue dans leur correspondance: .."Eh
quoi, ma fille, j'aime à vous écrire, cela est épouvantable,
c'est donc que j'aime votre absence"...A l'origine d'une
communication-web, il y a (selon moi) plus un désir de nouveauté
et de recherche vers les habitants du cyberspace, que la
volonté de prolonger une emprise tout en "utilisant" l'
absence. Comme dans toute rencontre, de l'inattendu.., puis une
suite ou pas avec cet(te) inconnu(e): je n'ai continué qu'avec
celles et ceux dont l'approche était pleine de douceur et de
respect, moi de mon côté ne demandant pas à m'emparer de quoi
que ce soit, mais cherchant à apprendre un "savoir
recevoir " ces êtres et ces choses venus du Web.
Je
viens de lire avec grand plaisir les paragraphes que MFGM consacre
à la Correspondance entre Descartes et la Princesse Elisabeth..
J'ai toujours aimé cette correspondance où l'on voit deux
personnes développer leur propre pensée, chacune à sa manière,
avec sincérité, tact, et quelle compétence..! Etudiant les
modalités de cette correspondance, MFGM écrit: "leur
correspondance constitue un véritable ensemble à deux voix"
et note qu'elle ne se fera pas pharmakon mais jouera le rôle
d'un "objet transnarcissique", qui, selon A.Green
"permet de créer l'affect d'existence".Ils se
sont bien mieux compris, eux qui ne se sont que très peu vus et
beaucoup écrit, que n'a pu faire cette Christine qui pourtant (
après avoir commencé elle aussi par "correspondre")
avait réussi à faire venir à côté d'elle René
Descartes en chair et en os et à lui imposer "en
vrai" le temps de leurs conversations (5 heures du mat..
alors que les jésuites eux-même avaient compris que le petit René
avait vraiment besoin de se lever très tard..).Ne rien savoir de
l'autre dans son existence corporelle et ses insertions sociales
ne veut pas dire bien sûr qu'il ne tiendra pas la place du
premier objet depuis toujours perdu et de ses successeurs, mais il
se crée aussi une forme particulière d' espace intermédiaire où
il y a une chance de pouvoir le découvrir autrement et de créer
la communication autrement. La chance d'un lien transnarcissique peut-être..? Ce concept de Green est à étudier dans ce
champ, je crois. |
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Voilà
une belle prairie... oui elle est très belle.. |
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C 'est Diderot qui écrit à propos de la
communication par lettres :" je cause un peu avec vous comme
un voyageur à qui un camarade dirait, "voilà une belle
prairie", et qui lui répondrait au bout d'une heure, "oui, elle est très belle".."L'irréductible séparation",
liée au " malheur du retard" et à son
"insupportable décalage"(formules de MFGM), qui
renouvelle donc sans cesse le sentiment d'absence est l'aspect que
la communication-web a le plus transformé en nous offrant la
presque immédiateté et donc une expérience de "co-présence"
:si je vois que L'Ecole des Femmes va être ce soir
retransmise en direct par Wanadoo depuis le Palais des Papes, et
si je souhaite sans pouvoir quitter Bordeaux "aller au théâtre
avec quelqu'un", je vais récupérer le lien, l'envoyer à
des amis et nous regarderons "ensemble" le jeu
d'Arditi, en nous envoyant des mails "à la même
minute" en temps réel pour dire nos émotions, notre
enthousiasme pour telle célèbre réplique, nos critiques sur la
mise en scène.. etc... et cela , même si nous habitons très
loin les uns des autres.. Pareil pour le dernier concert de
Barbara Bonnet au Châtelet et pour de très nombreuses
autres choses.... Ce qui est vrai de la co-présence à tel ou tel
évènement culturel l'est aussi pour l'apprentissage immédiat de
tel ou tel élément d'un logiciel ..etc.. Il naît sans cesse
dans le développement du cyberspace des occasions de co-présence
pendant un moment (quelques minutes ou plusieurs heures)..
De nos jours, le grand Descartes n'aurait pas à se déplacer à
Stockholm et à se plier aux horaires de la Reine(" il y
avait de quoi le faire mourir, il mourut en effet", note André
Bridoux dans son introduction au Descartes de la Pléiade);
il écrirait ce qu'il voudrait quand il voudrait et elle lirait de
même( dans son temps à elle), ou bien ils se feraient une
video-conférence en direct.:-)
Mais si l'immédiateté est devenue possible et avec elle ces
nouveaux sentiments de "proximité" , les décalages
temporels le sont aussi, et toutes les manipulations du
retard . Créant la possibilité d'un autre style de co-présence,
ces formes de communication créent en même temps bien d'autres
moyens de creuser l'absence.. C 'est dire que la vie d'un lien créé
virtuellement suppose vraiment que les personnes impliquées
le cultivent chacune à sa manière, usant de leurs
ressources quant aux jeux présence-absence, autrement il
deviendra pathologique ou il dépérira .Or cette
"culture" a ses propres conditions et là naissent
quelques nouveaux problèmes..
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Le
cachet de la poste faisant foi.... |
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Quand on reçoit une lettre, on regarde
l'enveloppe, l'écriture, le cachet.. Quand je reçois un Mail, je
regarde aussi tous ses éléments constituants : l'adresse , le
pays, le fuseau horaire (qui sauf virus ou manipulation
informatique très évoluée sont réels) et -comme
autrefois j'appréciais le grain et la couleur du papier-
j'apprécie maintenant les outils de correspondance de
celui qui m'écrit. S'il utilise Netscape ou IE, quelles
versions...etc.. ce sera la trace de ses préférences mais
encore c'est ce qui me dit ce que je peux utiliser ou non
pour lui répondre.. par exemple s'il est avec Netscape, mes
scripts pour streamer mes MP3 ne marcheront pas et mes jeux avec
la musique ne pourront pas franchir cette barrière.. Et de même,
si je me contente de rester avec Windows2000, si je
n'accepte pas d'expérimenter la version bêta de Windows XP (
Windows in statu nascendi) tous ceux qui sont
actuellement occupés à raffiner les sons et à les transmettre
avec les nouveaux moyens ne peuvent guère me donner leurs
trouvailles. Le "partageable au présent" le
partageable avec les gestes les plus actuels, tient donc autant
aux outils informatiques ( qui se transforment constamment à
grande vitesse) qu'à ce que l'on voudrait partager.
Il y a de quoi s'inquiéter un peu, surtout pour la
suite. Il nous faudrait donc, dans nos relations virtuelles,
cultiver une sorte d' "ajustement" qui devrait s'appuyer
sur une maîtrise de plus en plus sûre des outils informatiques.
Or souvent ce qui se passe est inverse: chacun se met à préférer
ses propres outils (même très élémentaires), ses propres réseaux,
ne cherche pas dans le sens de ce qui en train de se
produire, ne voit pas comme essentielle l'utilité des mises
à jour. Les outils informatiques qui pourraient permettre des
partages de plus en plus importants et immédiats sont utilisés
comme remparts narcissiques et tout un système de
retards et de décrochages s'ensuit.. Nous aurions gagné
l'immédiateté, mais paradoxalement, ce ne serait plus une immédiateté
dans le même"temps subjectif "..(ni- à la limite- dans
les mêmes cybermondes.).Je parlais de "co-présence
pendant un moment", c'est ce "moment" qui va se
réduire au lieu de s'allonger quand les contenus à échanger
deviennent de plus en plus intéressants mais techniquement de moins en moins échangeables (par excès de décalages..)..Cette
"co-présence pendant un moment" pourrait correspondre
à ce que Green, commentant Winnicott, appelle :intersection
maximale entre deux sphères, la sphère de la mère et celle de
l'enfant:"L'intersection maximale a pour but de créer
l'affect d'existence. Sentiment de cohérence et de consistance..,
support du plaisir d'exister.. et qui se montre capable de tolérer
l'admission de l'Autre et la séparation d'avec lui. Le destin de
l'Un étant de vivre en conjonction et/ou séparation (d')
avec l'Autre: la capacité à être seul en présence de quelqu'un
signe cette évolution favorable. Le Je se perd et se retrouve
dans le jeu."(Green, Narcissisme de vie, Narcissisme de
Mort, Editions de Minuit, P.56-58).Si on transpose
cette métaphore des "sphères en intersection" à la
correspondance cyber, on comprend qu'il faudrait que chaque
espace-temps ainsi créé permette suffisamment de jeux pour les
deux personnes en correspondance :qu'il ne soit pas condamné à
la simple instantanéité (c'est le risque que j'aperçois), qu'il
soit suffisamment riche, c'est-à-dire contienne assez d'objets et
de processus sublimés pour relancer et le sentiment de présence,
et les avancées vers d'autres jeux sublimés (je ne crois pas- et
c'est l'aspect heureux de tout ça - que l' abondance actuelle
vienne à se tarir..).
Il semblerait donc que, plus nous essayons de comparer cette
cyber-correspondance aux formes que nous connaissons déjà, plus
apparaissent aussi- sous une forme paradoxale- des aspects
relativement inconnus . Les modes de relations que nous
avons commencé à pratiquer - parce qu'ils modifient notre
conscience du temps et de ce qui est échangeable dans le temps
-ne peuvent que modifier aussi notre sentiment d' être
seul, ou d'être "avec", d'être seul et avec etc... Je
pense que ces modifications du sentiment de la présence et de la
durée sont relayées par les modifications de la
"parole" et de "l'écrit", par les
modifications de tout ce qui s'échange dans les zones
d'intersection, quand nous parvenons à les créer..( à suivre,
donc..)
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Note1 |
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Ce travail sur l'absence et le transnarcissique est parti d'un échange sur la communication par mails et news avec Jocelyne Troccaz et bernard Defrenet.Tout cet échange est publié dans la section archives. |
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Geneviève Lombard 21juillet 2001 |
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