Skypanalyse 3 : le cadre



Skype et la psychanalyse

C 'est avec un grand plaisir que j'ai découvert il y a déjà quelque temps les grandes ressources de Skype pour la communication à distance. La question est simplement de savoir si ces ressources conviennent comme support à un travail de psychanalyse. Evidemment, personne ne peut douter que des contenus inconscients de toutes sortes circulent sur le web. Toutes sortes d'aspects de la vie inconsciente circulaient dans l'humanité avant Freud, ils étaient l'objet de diverses approches. La découverte de Freud c'est d'avoir trouvé le moyen de les rendre "analysables". Dans l'acte de fondation de la psychanalyse, il y a notamment l'invention d'un cadre. Pour faire vite, ce cadre met en place une assymétrie:
-le divan où il est allongé pour le psychanalysant, le fauteuil pour l'analyste qui est assis.
-l'association libre pour le psychanalysant, l'attention flottante, le silence, la neutralité bienveillante, l'interprétation pour l'analyste. Ce dispositif a (parmi ses nombreux effets) une conséquence immédiate: la mise en veilleuse de la perception visuelle, la fin des "bavardages" de type "conversation" : l'expérience d'une autre manière d'entrer en relation avec soi-même en présence d'un autre. Une telle expérience va ramener le souvenir des premiers "autres" , dans ce qu'on appelle le transfert. C'est l'existence du tranfert (et du contre-tranfert) qui va rendre les contenus tranférés analysables.

Simulation
Imaginons cette scène via Skype. Depuis mon fauteuil habituel, mon portable posé juste à coté. Là bas à Pékin, un étudiant dans sa chambre. Il est seul (personne ne passe et ne peut entrer, il a fermé sa porte).Il est possible qu'il soit allongé son portable ouvert à coté. S'il est assis devant son portable, et si c'est une situation de tête-à-tête qui est choisie par ceux qui pratiquent ce genre d'exercice, ce sera à peu près la même chose.A une heure décidée d'avance, nous nous connectons en video sur Skype.Je vois ce qui l'entoure, il voit la pièce où je suis, les deux images coexistent sur le même écran. Je l'invite à parler sans restriction ni censure..Puis je me tais. Dès ce premier moment, on comprend pourquoi ça ne peut pas marcher comme dans une psychanalyse ordinaire : le visuel (ce même visuel qui avait été congédié par Freud) va prendre le dessus immédiatement. Tout analyste sait que, dans cette première séance, il n'est pas rare que l'analysant ferme les yeux et se taise pendant un bon moment, qu'il ressente de l'angoisse etc. Celui qui est tout seul à Pékin ne peut pas fermer les yeux ainsi, ne serait-ce que parce qu'il faut qu'il s'assure que la connexion tient (quand nous utilisons l'Internet d'une manière ou d'une autre, nous avons toujours une vigilance de fond qui concerne l'outil lui-même). S'il souffre, il n'a pas l'assurance qu'une vraie personne à coté de lui est prête à lui venir en aide si besoin est. L'analyste lui-même a nécessairement les yeux fixés sur son écran et surplombe la situation plus qu'il ne la ressent.
C 'est depuis les débuts de l'Internet que les observateurs font remarquer à quel point nous sommes, avec nos activités-web, dans la prédominance du visuel et les pulsions de voir et d'être vu. Sur les écrans, on se parle souvent les yeux dans les yeux, l'écran comme un miroir attire mutuellement les regards. Un miroir dans lequel chacun se voit tout en voyant l'autre. Que devient alors l'attention flottante? comment l'analyste va-t-il intervenir pour assurer une présence suffisamment "contenante" d'une crise d'angoisse si ce n'est en parlant ou en se manifestant d'une manière ou d'une autre ...? Car , qu'est-ce que ma "présence" sur un écran pour quelqu'un qui ne m'a jamais vue? Depuis longtemps des interrogations sont menées concernant la présence-absence, les illusions de la présence, les illusions transnarcissiques portées par le fonctionnement du web lui-même, il faudrait en tenir compte.

D'autres aspects de la vie psychique sont aussi bien davantage sollicités que dans le dispositif habituel, les possibilités de régression sont différentes. Une "transposition" de la séance d'analyse, malgré quelques aspects apparemment favorables, est à mes yeux impossible. Je n'ai même pas encore énuméré les autres obstacles prévisibles ( perte de dissymétrie sur un support qui produit surtout de l'horizontalité : ici les deux sont pareillement tributaires de leurs machines et du fonctionnement général) et ce n'est pas parce qu'on prévoit 5 séances par semaine à 50 dollars qu'un cadre est réellement posé. Ce qui se passe avec ce dispositif est à mon avis tout autre chose que de la psychanalyse, je ne dis pas que ça n'a aucune valeur clinique possible. Reste à montrer laquelle en abandonnant l'idée que tout ce que font les psychanalystes titulaires des Sociétés reconnues serait ipso facto psychanalytique.

( à suivre)

 
Genevieve Lombard Bordeaux 28 octobre 2011