Skypanalyse 1

Skype et la psychanalyse

Dans un des derniers billets de son blog,Les nouvelles frontières de la psychothérapie", Yann Leroux pose une multitude de questions  sur les pratiques des  psychothérapies dès lors que l’Internet se développe. C’est aussi ce que j’ai fait sur ce site en ce qui concerne plus précisément la psychanalyse. Mais tandis que nous multiplions les interrogations, des formes de « mise en acte » ou de « passage à l’acte » se multiplient aussi. Jusque récemment, ces formes me paraissaient être des initiatives individuelles, dans lesquelles les sociétés psychanalytiques ne prenaient pas de position institutionnelle. C’est au mois de mai que j’ai pris une conscience plus nette de ce qui se passe dans le monde psy, en lisant les travaux préliminaires et propositions d’atelier du  Congrès de l’IPA à Mexico.

Par exemple, dans une proposition (dont le titre même mériterait une critique sérieuse, j’y reviendrai peut-être)  Warren Poland : « La psychanalyse a les meilleures chances de se développer quand elle va au-delà de préoccupations corporatistes » dit trois choses :
-s’appuyant sur les travaux de Gerhard Schneider concernant la psychanalyse et la culture, il propose de s’intéresser à « l’impact de la réalité virtuelle sur la psyché ». En ce sens, il relaie 15 ans après les préoccupations des premiers analystes qui se sont exprimés sur le web, utilisant sans avoir l'air de se douter qu'elle a beaucoup évolué , la notion de réalité virtuelle. Aujourd’hui dit-il « un enfant se voit offrir la possibilité de s’engager dans un monde qui peut sembler humain mais qui ne l’est pas, celui de la réalité virtuelle ».Qu’arrive-t-il au “Je” en développement lorsque l’apparent “Tu” des autres est un programme non-humain (1)?
-Puis il cherche un étayage et il trouve celui que nous avons tous trouvé depuis la publication de "La vie sur l'écran", les travaux de Sherry Turkle. Il cite son dernier livre : Alone Together: Why We Expect More from Technology and Less from Each Other (2011)
-ensuite bien sûr il faut s’y mettre (comme si on en était toujours au commencement de ce merveilleux programme ): « Mais aussi, la plante analytique doit grandir hors de terre pour porter plus de fruits en recevant la lumière d’autres disciplines culturelles »(sic 2).
Cette généralité va prendre à Mexico un aspect inattendu (pour moi).

On apprend ensuite en effet qu’au sein de l’IPA, on pratique déjà (et depuis longtemps puisqu‘il y a du « matériel clinique ») de la  "psychanalyse" à distance. Voici un des ateliers qui est proposé.
Remote Analysis: Telephone, Skype and Condensed Analysis
(English/Spanish only) 2 and 3 August
Two ongoing international working groups study the clinical effectiveness of teleanalysis and its educational effectiveness in the training of psychoanalysts. English- and Spanish-speaking members meeting monthly on teleconference present clinical material from analytic sessions conducted by telephone and Skype, and the two groups collaborate at IPA Congresses to deepen the discussion.
Ainsi, à un Congrès de l’IPA, des « sessions analytiques », conduites par telephone et skype, sont bel et bien reconnues, notamment semble-t-il pour la formation des psychanalystes.
Les conséquences d’une telle  position sont très importantes pour la psychanalyse elle-même. Mais ce que je veux souligner pour commencer, c’est que le règne de toutes sortes de passages à l’acte est officiellement commencé, voire approuvé. En effet, tout cela se passe alors que la moindre des questions préliminaires n'a pas été étudiée: peut-on seulement installer grâce à skype une sorte de "cadre" qui rendrait éventuellement analysable le matériel inconscient qui circule ?

Pour des raisons qui apparaitront mieux dans la suite de mes réflexions, je vais utiliser un neologisme pour parler de cette "pratique" : la skypanalyse.
A suivre.

Note1
Je pose la question: "qu'est'ce que ça pourrait bien être qu'un programme non-humain sur l'Internet ?" Jusqu'à quand devrons-nous rencontrer ce genre de confusion de base? L'Internet est tellement de part en part une production humaine qu'interrogé récemment sur ce qui fait le propre de l'homme maintenant, l'anthropologue Friedman Schrenk a répondu :le propre de l’homme c’est l’internet.Pour ma part, je n'irais pas jusque là :-)

Note2
L'énoncé de ce programme et les débuts de sa mise en oeuvre ont eu lieu il y a 100 ans, et en des termes autrement pesés:
Mon dessein est accompli, si je suis parvenu à montrer avec évidence combien sont nombreux les domaines de savoir pour lesquels la psychanalyse est intéressante et quelles riches connexions elle commence à établir entre ces domaines."
Freud : L'Intérêt de la Psychanalyse.1913.
Genevieve Lombard Bordeaux 26 octobre 2011