Sherry Turkle

Juliette Favez-Boutonier

     
  no Ce qui rend la pensée et les travaux de Sherry Turkle si intéressants, en plus de leur valeur d’innovation , c’est leur fonction de passerelle inter-culturelle. Sherry Turkle  étudie depuis le début des années 80 les interrelations qui se développent entre la psyché humaine et les ordinateurs, et les problèmes émergents qui en résultent. Elle étudie ces changements à partir d’une culture dont elle partage avec nous (nous les psychanalystes français..) de très larges zones.  
  Son livre « La France Freudienne»  (1978 Basic Books,1982 Grasset),  ne se contentait pas d’étudier en sociologue ce qui se passait en France juste après 1968, mais  donnait des « avis » qui ont encore toute leur pertinence pour orienter nos réflexions actuelles quant à ce que les psychanalystes pensent et disent de la culture digitale (voir notamment la réflexion menée dans la préface à l’édition française autour de la psychologie du moi, du structuralisme et de  «l’américanisation de la psychanalyse»).Son récent article dans ce numéro spécial du Nouvel Observateur sur la psychanalyse enrichit cette  "passerelle" en développant les mêmes questions.  
  jfb  
  C'est la métaphore de l'écho, chère à Schopenhauer pour des raisons épistémologiques très parentes, et utilisée aussi par Juliette Favez Boutonnier (dans l'extrait qui suit), qui figure ici ressemblances et différences;parties de sources  différentes, les interrogations concernant le moi, le sujet, le libre arbitre se répondraient d'une rive à l'autre de l'Atlantique:"Aux états unis, il devint très clair que le défi de la psychanalyse...faisait écho au défi des idées issues des théories informatiques".
Selon Sherry Turkle, les sources des interrogations actuelles sont très différentes:
c'est une assertion forte mais j'en suis persuadée: la crise de l'ego, donc du libre arbitre,est arrivée aux Etats Unis via l'informatique,pas vis la psychanalyse. C'est au sein de disciplines comme la robotique ou l'informatique que les américains s'attaquent aujourd'hui au défi du libre arbitre"..
Les choses sont peut-être moins simples car les psychanalystes français ont bel et bien vu arriver d'importantes nouveautés dans le champ technologique dès 1954  à propos de la cybernétique et ils l'ont dit, simplement ils n'en ont pas tiré toutes les conséquences, préférant prendre une voie plus théorétique plutôt que d'avoir à penser la technique. C 'est cette forme de rencontre-évitement ( dont nous voyons bien d'autres formes se produire actuellement, presque cinquante ans plus tard) que j'aimerais commencer à étudier.
 
 

L' extrait qui suit comprend les deux premiers paragraphes de la page 20.

On pourrait évoquer les tentatives de la cybernétique, née de la confrontation de techniciens et de spécialistes de sciences absolument différentes. Cette nouvelle chose est peut-être un mythe, mais vous savez que les mythes, après tout, nous guident toujours vers quelque chose. Le mythe d'Œdipe ne manquait pas d'avenir. Et même si la cybernétique n'est qu'un mythe (je n'ai pas la prétention de la juger), le point de vue dans lequel elle se situe me paraît tout à fait fécond : l'incarnation d'une pensée philosophique dans les groupes plutôt que dans les hommes et l'écho qu'une philosophie vivante doit trouver dans les spécialités les plus éloignées en apparence.
   

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  L'avènement de cette connaissance où une fonction ne peut être mise en évidence que par des groupes de chercheurs divers est sans doute caractéristique de quelque chose de tout à fait remarquable à notre époque : par exemple la fonction de la recherche qui est commune à des spécialistes différents. A côté de la recherche scientifique, on peut concevoir le développement de fonctions préparant à la recherche, comme d'autres disciplines préparent à enseigner ; et peut-être est-ce dans un cycle d'études de ce genre que la psychanalyse aurait sa place : développement des fonctions préparant à la recherche et non pas pouvant résoudre les problèmes. Il y aurait ainsi une hiérarchie de fonctions dans laquelle la psychanalyse se situerait à sa place.  
  La psychanalyse aurait une manière à elle d' aider à développer l'esprit de recherche. Juliette Favez Boutonier, qui a reçu dès 1930 une lettre de Freud qu'elle cite dans cette Conférence, le loue pour son esprit de vérité et sa passion de connaître. Dans la suite de Freud, elle va  prendre en compte les liens possibles de la psychanalyse avec ce qui arrive de nouveau. La particularité qu'elle retient ici, c'est l' idée de "fonction préparant à la recherche" que la psychanalyse pourrait développer dans les nouveaux champs qui supposent l'esprit d'équipe. Si "le groupal" coté chercheurs est repéré, il n'est rien dit des "objets techniques" ni des pratiques  techniques que la cybernétique commence à faire circuler. On sait que c'est à Paris mais en anglais que fut publié, en 1948, Cybernetics de Wiener, puis en français en 1952 Cybernétique et Société. L'air du temps est humé et reconnu comme apportant d'éventuels changements, mais ces changements eux-mêmes - bien qu'accueillis- restent  impensés. L'abord que va prendre Lacan dans sa participation à la discussion va être un peu différent.
Voir la suite: Psychanalyse et Technologie 2
 
         
 
Geneviève Lombard , Bordeaux , 25 novembre  2004.