Le paysage psychanalytique actuel me parait très étrange : alors que peu de psychanalystes participent ouvertement à la discussion de fond que la révolution numérique nous impose (et c'est le cas depuis 20 ans) on entend de plus en plus que les pratiques se modifient, mais insensiblement, avec toutes sortes de variations et pour les "raisons" elles-mêmes des plus variées. C'est comme si la formule lacanienne (le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même) était devenue la règle, justifiant par exemple une skype-analyse ("remote analysis") avec les psychanalysants "lointains" (russes, chinois, africains...), ou une analyse continuée avec un patient qui change brutalement de mode de vie (se retrouvant au bout du monde ou dans un lieu sans facilités de transport, ou "malade" etc), ou un contrôle fait entièrement après une simple visite (ou bien plusieurs, c'est selon: la "navette-analyse", ou "shuttle analysis" ça marche principalement pour les européens un peu à l'est qui viennent ainsi passer une semaine à Paris de temps en temps, mais pourquoi pas depuis Tarbes si ça marche depuis Kiev?) ou une psychothérapie dite analytique avec des enfants et ados que les parents ne pourraient (pense-t-on) amener à une séance dans la ville voisine...bref à chacun son appréciation de ce qui peut ou non se faire à distance avec les moyens actuels. Ceux qui n'ont pas suivi Lacan mais l'on passionnément étudié (dont je suis) remarqueront assez vite que le risque d'une telle position c'est d'être aveuglé par des formes de toute-puissance (tout ce que fait un psychanalyste est psychanalytique) , et par bien d'autres facteurs que j'étudierai plus tard. Il est certain aussi que l'expérimentation dans ce champ est parfois menée avec compétence et bonne foi, c'est pourquoi une discussion générale est nécessaire. |
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copie d'écran, site de l'ipa (i) | |
Mais avant d'examiner les "axiomes" posés par les partisans de ces nouvelles pratiques, il faut dire un mot du champ général où elles se produisent et de la particularité des différents acteurs. D'abord l'existence de deux pôles : à une extrémité, on trouve les psychanalystes qui considèrent que l'on ne peut rien faire de psychanalytique avec les outils numériques, et à l'autre, ceux qui pensent que tout se transpose sans problèmes particuliers dans la culture actuelle. Parmi ceux que l'on retrouve plus ou moins à ce pôle et si on regarde ce qui s'est passé depuis 20 ans, on voit qu'il y a comme deux ensembles dont une des particularités est d'être directement soumis à la pression du numérique. Pour simplifier, il y a là des universitaires psychanalystes pour qui ces outils font partie de la vie et de la communication quotidiennes, et qui sont plus que d'autres obligés de clarifier leurs positions puisqu'ils les enseignent (ils se doivent d'avancer de nouvelles théories et de les publier) et les psychologues cliniciens entourés d'enfants et d'ados, pratiquant eux-mêmes depuis longtemps les jeux video et familiers avec tous les aspects du web. Que reste-t-il de commun entre l'analyste qui ne pratique que l'analyse et la psychothérapie dans son bureau et ceux qui n'ont plus cette expérience (ou pour qui cette expérience n'est qu'une part minime de l'ensemble de leur pratique)? Jusqu'il y a peu, on pouvait dire qu'ils avaient en commun au moins leur première psychanalyse "stricto sensu", mais depuis plus de trente ans déjà, certains qui se disent ou que l'on dit psychanalystes n'avaient plus vraiment cette expérience. Avec les changements liés au numérique (lequel peut s'être invité dès la première analyse) je pense que le mot "psychanalyste" désigne maintenant des "métiers" (presque ou tout à fait) différents les uns des autres. |
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D'aménagements en aménagements, il y a donc une multitude de variantes aussi bien pour l'analyse que pour la formation, et donc pour la transmission même de la psychanalyse. Ce qui domine ce champ, ce sont les "croyances croisées" des uns et des autres, le mode de croyance qui se révèle avec la pratique du cybermonde, et ce qui demeure sous forme de croyance dans "l'inanalysé- inanalysable" en tout analyste. Dans une telle confusion généralisée, les deux éléments qu'il faut en priorité interroger restent à mes yeux ce qui arrive à la confidentialité et le fonctionnement du cadre. En ce qui concerne la confidentialité qui me préoccupe depuis longtemps (mon premier papier est de 2011 et j'ai marqué ensuite les étapes de sa perte ), je constate de plus en plus que le déni est comme installé. En voici le plus récent exemple : on lit au point 7 du texte récent de l'IPA sur la formation: |
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(i) les références sont un peu compliquées car il y a en ligne deux versions différentes de ce texte,la 2°(à ce jour d'avril) n'a plus le paragraphe Security (février)et donne d'autres éléments: http://www.ipa.world/IPA/en/IPA1/Procedural_Code/IPA_Policy_on_Remote_Analysis_in_Training.aspx https://www.ipa.world/ipa/en/IPA/Procedural_Code/IPA_POLICY_ON_REMOTE_ANALYSIS_IN_TRAINING.aspx |
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Geneviève Lombard Bordeaux 8 février 2016 mise à jour le 26 avril 2016 |