Déni atteignant le cadre

   
Bleger

J. Churcher Privacy, Telecommunications and the Psychoanalytic Setting on l'a vu précédemment, s'appuie sur les idées de Bleger pour interroger le sort éventuel du dépot silencieux des éléments de la symbiose dans un dispositif de psychanalyse à distance. Il cherche aussi à comprendre les attitudes (contradictoires) qui se sont développées chez les analystes depuis les révélations de Snowden. Selon lui, c'est parce que nous dépendons tellement de l'Internet pour des quantité d'aspects de nos vies que les révélations de Snowden ont provoqué une réaction de genre "déni"(1): Snowden nous aurait mis en face d'un danger qui deviendrait insupportable si la machine à surveiller venait à tomber dans de mauvaises mains "fall into the hands of an undemocratic aud oppressive governement". Ce scenario ressemble "aux scénarios catastrophes globaux (changement climatique, guerre nucléaire,pandémies, crash financier..) qui nous peuvent nous paralyser dès que nous anticipons l'échelle de leurs conséquences, leur vitesse, la quantité de souffrance qui en découlerait, et l'insuffisance de nos ressources mentales pour y faire face.." Dès lors, une des manières de réagir est de fermer les yeux , de refuser les perceptions qui sont ressenties comme ayant une charge traumatisante trop forte(2).J'ajoute que le clivage qui en résulte donne lieu à des comportements du genre si bien décrit par Octave Mannoni « je sais bien mais quand même » O. Mannoni (Clefs pour l'imaginaire, Paris, 1969,).

Ce double jeu pervers (c'est moi qui le dit en suivant Mannoni) donne le sens des "histoires rassurantes" que les psychanalystes se racontent pour persévérer dans ces pratiques en feignant d'ignorer leurs dangers. Je résume à ma façon tout ce passage de l'article de J.Churcher: Il n'y aurait pas de vrai risque parce que notre travail n'intéresse personne, ou bien parce que la surveillance ne pourrait rien apprendre en raison même de notre mode de travail ,le patient n'est pas sérieursement mis en danger, se sentir concerné à ce point c'est de la parano et mieux encore :le droit à la vie privée étant perdu, il faut maintenant passer à autre chose..(je pourrais faire une liste identique de ce que j'ai moi même entendu ou lu).

Mais que se passe-t-il si ce déni de réalité concerne un des éléments du cadre?.Selon J.Churcher, Bleger distingue deux versions du cadre: celui que l'analyste pose, et celui que le patient apporte, lequel doit être accepté, car c'est en lui que l'on pourra trouver comme en résumé la symbiose primitive. L'analyste lui doit tenir fermement son propre cadre, afin que l'ensemble de la situation transférentielle puisse devenir un processus:" l'analyste accepte le cadre du patient pour pouvoir l'interpréter". Tout cela est déjà bien difficile, mais le devient beaucoup plus si le déni concerne un aspect du cadre (ici la sécurité et la confidentialité): " If, in our work as analysts, we turn a blind eye to something that we know about the setting we are offering to our patients, how can we avoid undermining it as the only resource we have for analysing the patient’s setting?" ( Pour le dire simplement, ne serait-ce pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis?)
Cette question fondamentale étant posée, J.Churcher se demande si les dommages causés à la psychanalyse par le fait de vivre sous surveillance peuvent être dépassés, si l'acceptation des réalités négatives par les psychanalystes et les patients pourrait être étudiée, si le cadre pourrait encore contenir l'anxiété sans division etc. Il conclut que dans le cas contraire la seule alternative serait alors de ne pas utiliser les moyens de telecommunication dans notre travail clinique :" The only alternative, it seems to me, would be to avoid the use of telecommunications in clinical work, despite the economic pressures and temptations, and to proceed on the assumption that for psychoanalysis, as for some other forms of conviviality, actual physical presence is indispensable".
 
(1) Freud: "Verleugnung", en anglais "disavowal", en fr "déni(de réalité)": d'après Laplache et Pontalis, Vocabulaire de la Psychanalyse, 1967 P.115.
1924: Quelques conséquences..", 1927 Le Fétichisme, 1938 Le clivage du moi dans le processus de défense, 1938 L'abrégé de Psychanalyse.
(2)"Le déni de réalité est une action psychique consistant à rejeter la réalité d'une perception du fait des significations traumatisantes qu'elle peut comporter". Dictionnaire International de la Psychanalyse sous la direction de A. de Mijolla,2013 T1 p.442-444
Genevieve Lombard Bordeaux 25 avril 2016 maj: 2 mai 2016