En 2010 ici, j'écrivais que « Twitter a donné leurs chances aux formes d'écrits minimalistes qui -grâce à sa structure temporelle et ses modes de renvois- peuvent y faire mouche immédiatement ». Cet aspect minimaliste est celui qui depuis a été le plus commenté, comme si les effets des grands courants qui ont traversé les Internets en les transformant sans cesse n’affectaient en rien la production de ces petites compositions. Pourtant le lecteur de tweets de 2017 ne lit que très rarement la même « matière écrite » que celui de 2006-2010. Il est donc temps en cette fin d'année 2017 de célébrer ces "réussites" avant d'en examiner les transformations et la possibilité d'un destin tragique: est-ce Twitter qui va déclencher la troisième Guerre Mondiale? |
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C’est donc l’ensemble des possibilités offertes par cette règle du jeu qu’il faut saluer une dernière fois, avant de voir ce qui leur est arrivé. Il serait fastidieux de vouloir le démontrer et chacun peut faire cet exercice pour en acquérir la preuve par lui-même : ce sont toutes les figures de style (notamment la métonymie et la métaphore mais aussi bien l’oxymore et toutes les autres) qui se prêtent au jeu du « raccourci », elles continuent donc le même service que dans leurs existences littéraires passées, soit pour accentuer un dire (la sentence), pour évoquer un mystère (l’aphorisme genre présocratique ou nietzschéen), pour faire fonctionner l’humour (le mot d’esprit). |
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Nous avons la chance d’avoir un acteur-théoricien de ces jeux, qui a déjà écrit sur eux, et qui s’est longuement expliqué sur une activité que -à l'heure où j'écris- il pratique encore tous les jours. Il s’agit de l’entretien qu’il a accordé le dimanche 23 octobre 2016 à Michel Desautels : Bernard Pivot : « les « tweets », un nouveau style littéraire ». http://ici.radio-canada.ca/emissions/desautels_le_dimanche/2016-2017/chronique.asp?idChronique=419707 Après avoir expliqué son choix « Sur twitter vous restez vous-même, à la différence de facebook » et encore « J’ai pris ce réseau social au sérieux », il évoque le plaisir qu’il y a à « faire court ». Pour son interlocuteur qui y voit au XXI°siècle le retour d’une tradition française, c’est aux grands moralistes du XVIII° que Pivot fait appel, aux maximes et apophtegmes des La rochefoucault et Rivarol, n’hésitant pas à affirmer qu’ils auraient fait de très bons twittos. Et, commentant un tweet récent de Stephen King "il était une fois un homme nommé Donald Trump, il voulait être président et des gens voulaient voter pour lui" Desautels n'hésite pas à dire qu''il s'agit d'un roman en 140 caractères, à quoi Pivot fait remarquer que cet exercice doit être jubilatoire de la part d'un auteur qui en général "fait très très très long"(1). Pivot utilise toutes les possibilités de la langue, invente toutes sortes de neologismes "Se sarkozir v. pron. Déf.: tout faire pour revenir en haut de l'affiche. Ex.: les efforts pathétiques de Sarah Bernhardt pour se sarkozir", joue avec toutes sortes d'allusions. Il fait fonctionner à merveille la quotidienneté du tweet, ses lecteurs lui répondent immédiatement massivement: 2h après, 890 retweets 920 like .Au moment de l'interview de Desautels, il évoquait ainsi sa popularité: 200.000 lecteurs donnent des devoirs, 300.000 des responsabilités, 400.000 des frissons. |
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Et donc on peut dire que la "forme 140" a très bien marché et marche encore. Et si twitter "
est un réseau choral qui n’est composé que de solistes » comme B.Pivot le dit si bien, d'une certaine façon ces solistes se répondaient souvent sans même le savoir. La pression constante de l’urgence de l’immédiateté entraine une grande majorité de twittos à écrire à propos des actualités les plus brûlantes, souvent politiques. Une des nombreuses conséquence est positive, les intellectuels de toutes disciplines se saisissant d’un même « sujet », il se produit sur l’Internet des frémissements partagés à très grande échelle dans le même temps. Merci pour avoir produit cet effet de partage de la culture à ceux que je lis depuis toujours: | |
à suivre | |
1.Il a déjà fait très très long sur le même sujet : Un de mes lecteurs me signale que S.King avait imaginé dans "Dead Zone" 1979 que quelqu'un comme Trump, Greg Stillson,était élu président des USA. Le tweet de S.King joue donc avec une phrase à sens masqué que seuls les initiés peuvent savourer complétement.
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Genevieve Lombard Bordeaux 31 décembre 2017 |