Conférence donnée au Colloque "Le Sentiment Amoureux"1° et 2 décembre 2000 Université Lyon2 | ||
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Relations en "ligne" et en "site" | ||
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Avant d'être séduite par Zeus sous la forme d'un serpent, et de concevoir par lui Dionysos, Perséphone, laissée par Déméter dans la grotte de Cyane, avait commencé un tissage sur lequel serait représenté le monde entier.(D'après les récits orphiques) |
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Introduction |
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Vendredi, 18:30. Le calme d'une fin de
semaine; la douceur de la nuit qui s'annonce. Je me mets devant mon
ordinateur, en recherche de l'inspiration pour écrire cette
communication et, comme pour m'aider à être davantage dans le sujet,
de mon bureau, je me connecte via Internet, sur une station de radio
diffusant de la musique classique. Cette création n'est pas la mienne
mais soutiendra-t-elle ma pulsion? Magie de l'instantanéité! Magie de
ce qui vient de partout et de nulle part mais se trouve près de vous si
vite, avec tant de facilité! Accès à tant de ressources; plus que
vous ne pourrez jamais en traiter. Je me retrouve internaute,
aventurière sans risque d'un voyage sans lieu, sans départ ni retour. |
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Cette communication est supportée par des données issues d'une étude que nous avons réalisée sur un échantillon d'une centaine de sujets internautes [Gervais00]. | ||
Un peu d'histoire |
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Contrairement à ce qui fut colporté par les médias, Internet ne date pas de ces dernières années mais bien de plus de 30 ans. Son histoire n'est pas celle de la fraternité entre les hommes mais trouve son origine à la plus belle époque de la guerre froide entre russes et américains. L'armée américaine en pleine informatisation craignait qu'une attaque nucléaire russe puisse paralyser, par la destruction d'un de ses super-calculateurs, la force de riposte américaine. Naquit ainsi en 1957 un projet de l'ARPA (Advanced Research Project Agency) dont l'objectif était de mettre en réseau les ordinateurs de la défense nationale pour que des données sensibles puissent être communiquées de l'un à l'autre. Les premières pierres du réseau ARPAnet furent ainsi posées en 1970. Les quatre premières machines furent connectées alors et les premières expérimentations du protocole d'échange FTP (File Transfer Protocol) eurent lieu. Ce protocole est toujours utilisé aujourd'hui de façon très standard. Une deuxième communauté appelée Msg-group apparut en parallèle pour mettre en place un outil permettant à des personnes de communiquer à distance au moyen de leurs ordinateurs. Le premier message électronique fut échangé en 1969 au moyen d'un logiciel très proche de ce que sont encore aujourd'hui les logiciels de messagerie électronique. De réseau militaire qu'il était, ARPAnet donna naissance à d'autres réseaux dont NSFnet connectant les scientifiques. Dès le début des années 80, de nombreux chercheurs des communautés informatiques à travers le monde utilisèrent la messagerie électronique et les news groups, sortes de journaux électroniques thématiques où ils pouvaient échanger des points de vue ou des conseils sur tout sujet sans que ni la distance, ni le temps ne soient des obstacles à la communication. Un coup d'accélérateur vers l'accès grand public à Internet fut donné en 1993 par le CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire) au sein duquel un chercheur créa le World Wide Web (WWW), en bref "le web", dont le but était de pouvoir, sur chaque ordinateur, mettre à disposition d'autres physiciens connectés sur le réseau, des données ou des résultats sous forme de textes, images ou sons. Il introduisit un langage spécifique appelé HTML (HyperText Markup Language) toujours en vigueur aujourd'hui. En parallèle, dès 1988, des chercheurs mirent au point IRC (Internet Relay Chat), outil permettant de converser à plusieurs, connus ou inconnus, interactivement via leur ordinateur. En France, Internet démarra vraiment au sein du grand public autour de 1995 avec un formidable coup de publicité de Microsoft qui fit d'Internet un de ses arguments de vente de Windows 95. Les chiffres confirment la croissance exponentielle du nombre d'ordinateurs personnels dans les foyers et de l'utilisation d'Internet. Qui peut aujourd'hui échapper au matraquage des médias pour inciter à consommer de la communication soit au moyen des téléphones mobiles soit par Internet? |
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Usages d'Internet |
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Différents
outils sont à la disposition de l'internaute; chacun de ces outils a
ses spécificités quant à la forme de la communication induite. Nous
introduisons ici ces différents outils pour le lecteur non familier;
pour plus de détails sur l'utilisation de ces outils se reporter en
annexe.
Un certain nombre d'outils concernent la messagerie: l'émetteur écrit
un texte qu'il enverra une fois terminé à un ou plusieurs
destinataires comme on envoie une lettre. Dans cette classe d'outils,
nous trouvons le courrier électronique où la liste des
destinataires est à l'appréciation de chacun; cet outil est couramment
appelé mail ou e-mail ou encore mèl dans une version francisée. En
parallèle de cet usage individuel du courrier, il se trouve des listes
de distributions autour d'un sujet d'intérêt; on envoie ainsi un
message sur un thème donné à une adresse particulière qui redirigera
ce message à tous les abonnés de la liste; ceux-ci recevront le
message dans leur boite à lettres informatique sans que l'on sache forcément
qui ils sont. |
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Figure 1: Internet, ses usages et ses outils | ||
On voit donc très rapidement deux types majeurs d'utilisation d'Internet: l'accès à des informations ou à des services distants et l'accès à des personnes distantes, connues ou inconnues. Comme [Kraut98], nous relevons deux fonctions à l'usage d'Internet: l'une d'elle est tournée vers la privatisation des loisirs, l'accès à information jusque là inaccessible, l'augmentation de compétences techniques, le commerce. Ces activités sont qualifiées par cet auteur, d'asociales - nous préférerons dé-socialisantes - en ce qu'elles ont pour conséquence de rendre l'individu plus indépendant et de lui permettre d'être plus facilement seul. La deuxième fonction est, à l'inverse, tournée vers la communication et la socialisation (maintien des contacts avec amis, collègues, familles, participation à des groupes, développement de nouvelles relations, mise à disposition de ressources, etc.). Nous qualifierons ces activités de socialisantes. On observerait donc un double mouvement antagoniste de liaison/dé-liaison sociale lié à cette pratique qu'il conviendrait peut-être d'approfondir. Comme nous l'avons déjà évoqué précédemment nous nous focaliserons, dans ce qui suit, essentiellement sur les échanges entre personnes. |
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La communication sur Internet
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Les modes de
communication, usuels aujourd'hui sur Internet, sont essentiellement
textuels; si les transmissions de sons, d'images et vidéos voire de
sensations tactiles sont dès à présent possibles techniquement et si
elles autorisent la restitution relativement fidèle d'une réalité
distante, ces outils restent d'usage encore assez confidentiels et ne
s'adressent pas encore à l'échange inter-individuel grand public. Ces échanges
textuels sur Internet ont un caractère souvent assez peu formel. |
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La
rencontre amoureuse sur Internet |
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Internet est également un lieu de rencontre amoureuse. Nombreux sont les sites de rencontres, agences matrimoniales ou rubriques "petites annonces" en ligne, où chacun peut aller à la recherche de l'âme sœur. Mais nous nous intéresserons dans ce qui suit à un phénomène plus inhabituel. De nombreuses passions amoureuses voient le jour par l'échange électronique; la rencontre se fait le plus souvent dans un "chat" ou un "MUD"; après ce premier contact, et une première sensation de complicité ou une première attraction fondée différents éléments perçus dans ces échanges ([Baker98] cite le sens de l'humour, le style d'écriture, les qualités et intérêts décrits en ligne), deux participants amorceront un dialogue en a parte; ceci débouchera le plus souvent sur des échanges "directs" par mail qui seront rapidement de plus en plus nombreux et de plus en plus intimes [3]. Ces échanges résultent parfois en de violentes passions amoureuses mettant à mal ce que peut être la vie sociale et familiale des deux protagonistes. Relativement à ce colloque, Internet apparaît donc comme un curieux outil de rencontre amoureuse en ce qu'il met à distance le corps ainsi que la question de la séduction physique. Nombre de ces relations "en ligne" restent virtuelles. Cependant, certaines de ces rencontres amoureuses virtuelles deviennent de vraies rencontres et résultent en des relations amoureuses conventionnelles; le plus souvent des échanges téléphoniques précéderont la rencontre des corps. Un certain nombre d'études ont eu pour but d'analyser le devenir de ces rencontres en ligne (cf. [Baker98], [Baker00]). Parmi les relations construites sur ce mode, d'autres ne survivent pas à la rencontre des corps. Claude et Diane font partie de ces internautes qui ont expérimenté plusieurs fois ce qu'ils appellent l'illusion des mots; au raz de marée provoqué par les mots échangés au sujet de tout et de rien, a succédé la déception de la rencontre physique. Dans leur page web http://pages.infinit.net/claudian qu'ils ont créée avec l'objectif de guider d'autres internautes au delà du piège de rencontres amoureuses en ligne trop faciles, ils témoignent de la brutalité du passage du virtuel à la réalité: |
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/… Alors que vous êtes en train de lire sur Internet les descriptions de ceux et celles qui se présentent, déjà l'imagination se met en action. Vous commencez peut-être à vous figurer ce que ces personnes peuvent bien avoir l'air et à les inventer selon vos propres fantaisies… Une annonce retient alors votre attention, celle qui colle bien à ce que vous recherchez, et vous voilà déjà en train de glisser vers le rêve… Et si c'était la bonne?! Et si cette fois, ça marchait? Vous tendez une perche… et dès que l'autre vous envoie une première missive intéressée, vous voilà sur la première marche du train. L'aventure prend son envol et tout risque de tourner à chaque instant. Une lettre, deux lettres, cinq lettres et vous voilà tenu sous le charme et enivré par tout ce que vous imaginez de l'autre. Les lettres affluent de part et d'autre, les cartes s'échangent, les déclarations s'échappent et c'est la folie qui rapidement vous emporte dans ce qu'elle a de plus merveilleux. Et peut-être de même que plus rien d'autre dans votre vie ne compte que cet Autre, celui ou celle qui vous semble drôlement extraordinaire! N'est-ce pas merveilleux? Oui, peut-être… sauf que… quand une passion virtuelle nous envahit à un tel point, peut-on imaginer maintenant comment il sera possible de revenir sur terre et ancrer cette relation dans la réalité? Si vous ne cherchez qu'une relation virtuelle, pas de problème, extasiez-vous comme bon vous semblera, puisque sans chute possible, il ne peut y avoir de blessés. Mais si vous voulez rencontrer cette personne, l'intégrer en vrai dans votre vie et expérimenter cette relation amoureuse, vous devez nécessairement prévoir la transition, prévoir le passage du virtuel au réel puisque c'est ce moment-là qui risque d'incarner le choc de la désillusion. Plus l'autre sera idéalisé, plus les attentes seront élevées et plus la réalité risquera d'être fatale: "ça passe ou ça casse". …/…"
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Il est intéressant de relever dans le texte précédent les termes de "rêve", de "folie" qui rappellent combien l'utilisateur d'Internet va au plus près de sa réalité psychique; est-ce là, une forme moderne de psychopathologie de la vie quotidienne au 21ème siècle? |
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Alter ego |
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La rencontre amoureuse
pose la question du rapport de soi à l'autre. Dans [Hamman96], R.B.Hamman
approche le rôle de l’imaginaire dans la construction de l’autre sur
Internet. A titre d'illustration, l’auteur nous rapporte une expérience
personnelle: pendant des mois, il entretient par courrier électronique
une relation avec une jeune femme de son âge, Michelle, rencontrée dans
un groupe de discussion de type "chat". Bien que résidant à
dix minutes l'un de l'autre, ils choisissent de ne pas se rencontrer
physiquement. R.B.Hamman a rapidement le sentiment d'être amoureux de
Michelle. Ils se rencontreront finalement tout à fait par hasard dans un
cinéma. Lors de ce face à face, ils s’aperçoivent qu’ils ne
correspondent pas du tout à ce que chacun imaginait de l’autre, pire,
qu’ils n’ont pas grand chose en commun. Très vite, leur "cyber-relation"
cesse. L’auteur qui est un chercheur en sciences sociales, va compiler
toutes les traces de cette correspondance passée et il s’aperçoit
qu’il ne connaît en fait que très peu de choses sur sa correspondante:
son imaginaire a fait le reste. Internet a ceci de particulier que la
construction de la représentation de l'autre se passe, au moins dans un
temps, de son image effective. La construction de cette représentation précède
la rencontre des corps. L'intimité psychique précède, généralement de
très loin, l'intimité corporelle faisant vivre une expérience très
particulière à ceux qui expérimentent, volontairement ou pas, ce
premier rendez-vous hors ligne. L'autre de la correspondance en ligne
n'est peut-être pas si différent de l'être imaginaire auquel
s'adressent certains journaux intimes. |
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En écho à ce qui précède, Bernard Defrenet, psychanalyste, rappelle quant à lui, que dans toute relation objectale on trouve la trace du narcissisme et il souligne sa force quand cette relation passe par la médiation d'Internet; nous citons ici un extrait d'un texte qu'il a rédigé dans le site web relatif à l'Inconscient et au net. "Il me semble que tout rapport à l’autre, toute relation objectale mobilise un prolongement narcissique vers l’autre. Ferenczi a bien montré comment les mouvements constitutifs du Moi et de l’altérité ont une source profondément narcissique. Je pense en effet que les nouvelles formes de communication ne font que révéler de façon plus flagrante l’inscription du narcissisme au cœur de toute investissement objectal. Inscription qui serait plus cachée et recouverte dans les relations sociales usuelles. C’est ainsi que dépouillant la relation à l’autre de l’artifice social des conventions d’âge, de sexe, de situation, religieuse, … ces nouvelles formes de communication font surgir par cette fonction révélatrice, un nouveau tiers. Mais ce tiers était déjà là, constitué; il n’a pas été créé par le processus. Et si tous ces "drôles de moi" qui masquent une partie de leur identité, ces "autres virtuels" se répondent les uns les autres, c’est qu’ils restent en attente de quelque chose dans leur processus de subjectivation.". Internet permettrait ainsi par la mode de communication mis en oeuvre, la manifestation de ce que toute relation objectale a de plus narcissique et serait un lieu favorisant la poursuite du travail d'exploration de soi tel que défini par [Cornaton99]: "Le soi peut-être défini comme une recherche sans fin en vue de (re)constituer l’intégrité et l’autonomie du moi. C’est la quête à la fois de l’identité à venir et de l’identité passée, dans l’éternelle poursuite du paradis final et du paradis perdu". |
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D'ailleurs, nous l'avons vu dans le travail d'enquête que nous
avons menée, certains usagers trouvent par ce média une sécurité dans
la mise en place de leurs rapports aux autres; cela est particulièrement
notable chez les adolescents ou jeunes adultes: par ce média, ils n’ont
pas besoin d’affronter la réalité affective des autres car ils la
construisent en suivant leur désir. Ils peuvent expérimenter tous les
affects et toutes les manières de se présenter au monde en toute sécurité.
Ils peuvent également dissimuler tout ou partie de ce qu'ils sont évitant
ainsi de se confronter à l'angoisse de castration. Cette question de la
"dissimulation des différences", soulevée par certains
utilisateurs dans l'étude que nous avons menée, est tout à fait intéressante:
il convient de se demander quel sentiment d'identité peuvent ressentir
les internautes à qui Internet permet de dissimuler leur jeunesse, leur
condition sociale, la couleur de leur peau. N'y a-t-il pas quelques
dangers à vouloir s'identifier au désir de l'autre pour se faire
accepter de lui? Nous citerons ici Claude Lévi-Strauss: "…
car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre,
s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la
communication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance,
l'originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices
furent celles où la communication était suffisante pour que les
partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente
et rapide pour que les obstacles, indispensables entre les individus comme
entre les groupes, s'amenuisent au point que les échanges trop faciles égalisent
et confondent leur diversité." |
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Espaces
transitionnels, aires de jeu, aires de symbolisation |
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On peut ajouter que dans la communication sur Internet, on se retrouve parfois petit enfant; on joue. Citons ici un extrait des premiers échanges de Claude et Diane (extrait de http://pages.infinit.net/claudian) |
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…/… Diane: « tu as tout à fait raison, je veux TOUT savoir mais puisqu’il me faut faire un choix, je prendrai en premier celui qui concerne l’annonce, le pourquoi, son but, ce que tu cherches. » Claude: « Je pourrais te dire tout simplement: parce que j’ai envie de jouer! » …/…
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La rencontre amoureuse est jeu, jeu des mots, jeu des corps. Sur Internet, on joue quelquefois à séduire l'autre par les mots, à être un autre, une autre, à s'approprier des traits de celui ou celle à qui l'on s'adresse ou d'un autre imaginaire. La rencontre y est aisée comme elle l'est pour les enfants. Immédiate. Pas besoin de présentation trop formelle des uns aux autres, de rituels sociaux ou culturels. Celui qui a un site web ouvre ostensiblement sa porte aux autres. Celui qui est sur Internet est comme l'enfant dans le square: en attente de jeu. Winnicott (cf. [Winnicott71]) nous dit, dans le cadre des processus transitionnels dont nous pourrions voir des traces dans le phénomène Internet: "il existe une troisième partie que nous ne pouvons ignorer, c’est l’aire intermédiaire d’expérience à laquelle contribuent simultanément la réalité intérieure et la vie extérieure. Cette aire n’est pas contestée, car on ne lui demande rien d’autre sinon d’exister en tant que lieu de repos pour l’individu engagé dans cette tâche humaine interminable qui consiste à maintenir, à la fois séparées et reliées l’une à l’autre, réalité intérieure et réalité extérieure." Et l'on rejoint ici la difficile question évoquée précédemment de délimitation de soi et de l'autre, du sujet et de l'objet dans l'expérience d'Internet. La dimension planétaire d'Internet associée à l'abstraction que représente le substrat du média informatique contribuent probablement à donner à l'internaute qui y aspire, le sentiment de participer à une espèce de super-organisme planétaire, lui faisant rejouer quelque chose de l'ordre de l'indifférenciation primaire. Internet entretient également à l'extrême la confusion des lieux physique et psychique.Par ailleurs, le face à face avec l'écran, réduisant l'activité motrice et la perception sensorielle, accentuent certainement cette tendance à faire d'Internet une aire transitionnelle, une aire de jeu; tout comme l'absence de regard du psychanalyste, dans le cadre conventionnel de l'analyse, distancie le réel et favorise l'éveil de l'imaginaire et l'expression du symbolique.Holland dans [Suler95] défend qu'Internet est un lieu de régression. Pour lui, la régression se manifeste dans les explosions de colère, dans l'expression des pulsions sexuelles et également par l'extrême de générosité qui se manifeste sur Internet. Il confère à la machine perçue comme objet phallique ou comme vecteur de sentiment de toute puissance, un rôle important dans cette régression. |
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Nouvelles pathologies ou nouveaux symptômes? |
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Cette nouvelle technologie
de la communication du tout, tout de suite, tout le temps, du tous
ensemble, quel que soit le lieu et l'heure n'est-elle pas dans ses formes
extrêmes une forme de refus de la séparation d'avec l'objet? Il nous
semble que l'écrit conventionnel reconnaît l'autre et son absence. Le téléphone
est un autre mode de communication qui, lui aussi, reconnaît l'autre mais
défie l'absence en ramenant la voix de l'autre à son oreille. Dans son
usage normal, il respecte tout de même assez bien l'intimité de chacun,
lui reconnaît un espace physique qui lui est propre et privé. Qui
viendrait en effet à téléphoner à un inconnu juste pour lui parler
d'un sujet qui lui tient à cœur - comme nous pouvons le faire si
facilement sur le web? Le téléphone a instauré un code d'échange
relativement opératoire. Ce n'est certainement pas un mode de prise de
contact d'un autre à l'exception des SOS qui ostensiblement sont un appel
à l'autre préparé, organisé. Le téléphone portable en est une
manifestation autre. Il dit la soif de contact, l'urgence de se retrouver.
Il dit le refus de l'attente. Il nie l'usage d'un lieu de retrouvailles.
L'Internet va plus loin dans ce refus de l'absence, de la séparation; son
inconsistance géographique contribue probablement à cette fonction. Lieu
de jeu pour certains, et élément structurant de subjectivation, il est
pour d'autres dangereux en ce qu'il leur permet d'échapper à une réalité
vécue comme trop frustrante; cela peut les conduire vers des
comportements addictifs et quelquefois vers un véritable sentiment de déréalisation,
allant jusqu'au déni de leurs besoins physiologiques élémentaires; ceci
pouvant à l'extrême les mener à une issue fatale. Une littérature
abonde à ce propos (cf. [King96], [Young98]). Ces auteurs ont montré que
certains utilisateurs sont devenus addictifs à l’usage d’Internet.
D'autres auteurs [Putnam00] rapportent des comportements sexuels
compulsifs favorisés et entretenus par Internet. Nous renvoyons le
lecteur intéressé au site http://netaddiction.com.
Ces addictions semblent très proches de l'addiction au jeu ou à des
substances toxiques sur la base des éléments diagnostics du DSM-IV. Un
draft du DSM-V intègre d'ailleurs, en tant que telles, les addictions aux
ordinateurs et à leurs usages. Les "Internet-omanes" sont généralement
de récents utilisateurs d'Internet, souvent jeunes et de sexe masculin,
et ils utilisent plutôt le "chat" et le MUD (discussions
interactives et jeux de rôles en ligne) que le courrier électronique et
le web. Certains auteurs voient ces pathologies addictives comme des
pathologies primaires. D'autres, desquels nous nous sentons plus proches,
estiment qu'il s'agit d'une pathologie secondaire. Selon cette approche le
comportement addictif sur Internet serait alors l'expression d'un symptôme. |
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Conclusion |
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Nous l'avons vu rapidement dans ce papier, l'un ressorts fondamentaux de ce qui anime l'internaute est la quête de l'autre - donc la quête de soi. L'autre ressort que nous n'avons pas abordé ici est la quête du savoir. On peut arguer, comme le fait [Stone95], que la faible bande passante [4]. de la communication qui se construit sur Internet produit du manque, dans le sens où Jacques Lacan l'entendait, et ce serait ce manque qui engendrerait ce mouvement de l'imaginaire et cette activation du fantasme. Y a-t-il tant d'autres "lieux" où l'autre est si puissamment "Alter ego"? Parce qu'il nous porte aux limites d'un monde onirique défiant l'espace et le temps, Internet peut certainement être au plan subjectif un fantastique média de communication avec soi-même lorsque le Moi est suffisamment fort et structuré pour ne pas glisser vers des comportements pathologiques. Gérard Pommier [Pommier], quant à lui, nous parle du "corps angélique du post-modernisme". Pour lui, le corps fait ancrage entre un mouvement en arrière vers le Moi Idéal et le mouvement de l'avant vers l'Idéal du Moi, entre passé et futur, entre jouissance et lien social. L'abandon des idéaux sociaux, religieux ou de progrès, entraînerait l'homme post-moderne à un mouvement essentiellement régressif et à l'abandon d'un corps sexué pour un corps angélique incestueux. Ces deux approches constituent certainement des pistes de réflexion très intéressantes pour les phénomènes que nous avons abordés ici. De très nombreuses questions restent à approfondir. En effet, nous n'avons fait ici qu'introduire un certain nombre de ces questions qui nous sont apparues de plus en plus pressantes notre expérience d'Internet grandissant. Gageons que l'intérêt croissant de la population française pour Internet suscitera un intérêt tout aussi important de la part des chercheurs de la communauté des sciences humaines qu'ils soient philosophes, psychologues, sociologues ou tout simplement curieux de comprendre les ressorts de l'engouement irrationnel pour cet étrange outil de communication qu'est Internet.
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JOCELYNE TROCCAZ |
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Bibliographie |
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[Baker98]
- A. Baker: "Cyberspace Couples Finding Romance Online Then Meeting
for the First Time in Real Life", Computer-Mediated Communication
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- A. Baker: "Two by two in cyberspace: getting together and
connecting online", CyberPsychology and Behavior, vol3, no2,
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- "Dictionnaire de la psychanalyse", sous la direction de Roland
Chemana, éditions Larousse, 1995 [Cooper00] - A. Cooper, I.P. McLuohlin,
K.M. Campbell: "Sexuality in cyberspace: update for the 21st
century", CyberPsychology and Behavior, vol3, no4, Mary Ann Liebert
Publisher, 2000 [Cornaton99] - M. Cornaton: "Le lien social - Etudes de psychologie et psychopathologie sociales", 2nde édition, Collection Système(s), L'interdisciplinaire, 1999 [CSA99] - Conseil Supérieur de l'Audiovisuel: "Les français et Internet", Etude Médiangles, Accessible en ligne http://www.csa.fr/csaflash.htm Novembre 1999 [Gervais00] - D. Gervais, J. Pertin-Troccaz, D. Rieussec-David: "Internet: fabrique de lien social ou fabrique d'exclusion?", Mémoire de Psychologie sociale, Licence de Psychologie, Lyon2, 2000 [Hamman96]
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Publisher, 2000 [Stone95]
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Notes |
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Je tiens à remercier Geneviève Lombard, Dominique Rieussec et Daniel Gervais pour leur contribution à cette réflexion. |