Conférence donnée au Colloque "Le Sentiment Amoureux"1° et 2 décembre 2000 Université Lyon2

Jocelyne Troccaz

 

Relations en "ligne" et en "site"

Avant d'être séduite par Zeus sous la forme d'un serpent, et de concevoir par lui Dionysos, Perséphone, laissée par Déméter dans la grotte de Cyane, avait commencé un tissage sur lequel serait représenté le monde entier.(D'après les récits orphiques)

Introduction 

Vendredi, 18:30. Le calme d'une fin de semaine; la douceur de la nuit qui s'annonce. Je me mets devant mon ordinateur, en recherche de l'inspiration pour écrire cette communication et, comme pour m'aider à être davantage dans le sujet, de mon bureau, je me connecte via Internet, sur une station de radio diffusant de la musique classique. Cette création n'est pas la mienne mais soutiendra-t-elle ma pulsion? Magie de l'instantanéité! Magie de ce qui vient de partout et de nulle part mais se trouve près de vous si vite, avec tant de facilité! Accès à tant de ressources; plus que vous ne pourrez jamais en traiter. Je me retrouve internaute, aventurière sans risque d'un voyage sans lieu, sans départ ni retour. 
Professionnelle de la recherche scientifique depuis une quinzaine d'années, mon domaine d'activité est l'informatique et ses applications au domaine médical et à la chirurgie. Mais l'informatique est pour moi depuis environ 15 ans un outil et un moyen de communication extrêmement commode et toujours surprenant, dans mon cadre professionnel et au delà dans ce qui m'est plus intime. De ces 15 ans de pratique de cette forme de communication sont issues bien des surprises et bien des rencontres. Que de surprises bonnes et mauvaises! Communication si facile avec les cinq continents en dehors de toute contrainte de décalage horaire et sans les lenteurs du "courrier de surface". Outil de travail extrêmement facilitant pour la recherche de documents ou le contact avec d'autres chercheurs. Si faciles rencontres, tellement informelles! Mais également tant de réactions violentes et inattendues à des propos qui pouvaient paraître neutres. Des mots allant jusqu'à l'extrême de ce qui ne serait pas exprimé, en positif ou en négatif, dans le face à face. Mais il n'y a pas que cela; on rencontre également sur Internet, une générosité inattendue qui s'exprime dans certains forums à orientation technique; quel que soit le problème posé, il se trouve toujours quelques uns pour y répondre et pour proposer de l'aide et donner de leur temps. Puis il y a toutes ces rencontres amoureuses d'Internet; jeu des mots échangés sans que le corps ne soit convoqué, qui conduisent femmes et hommes dans une passion amoureuse les menant parfois à la rupture avec leur vie sociale ou familiale d'avant la rencontre virtuelle. Il y a aussi l'extrême de nouveaux comportements addictifs et pour certains le retrait de la réalité jusqu'à une issue quelquefois dramatique. 
Alors peu à peu, je me suis demandée, avec ce regard d'apprentie psychologue qui est le mien, quel était cet étrange jeu auquel se joignaient de plus en plus de personnes, pour lesquelles l'informatique n'avait pas forcément un rôle si naturel que celui qu'il joue dans ma vie professionnelle. Je me suis demandée ce qui faisait, dans certains échanges, que les plus timides pouvaient être aussi, en cet anti-lieu, les plus autoritaires ou les plus agressifs; pourquoi tant de fois les réactions des uns aux mots des autres pouvaient être si irraisonnées; comment se faisait-il que l'on pouvait se sentir si facilement proche de l'autre par la communication par courrier électronique? Mais s'agissait-il bien de l'autre de l'échange intersubjectif? On en vient en effet à se demander quelquefois à qui l'on s'adresse véritablement. Ainsi, par la facilité des contacts en dehors de toute organisation ou institution, j'échange depuis de nombreux mois sur les questions d'Internet avec une psychanalyste rencontrée sur le net mais jamais dans la "vie réelle". Autre que je me suis imaginée inconsciemment par nos échanges. Quelle ne fut pas ma surprise quand j'observais le décalage entre quelques éléments de réalité qu'il me fut donné de connaître et l'image inconsciente que j'en avais construite! Je l'avais imaginée à mon image. Représentation d'un idéal? Image du double? Projection? La question mérite qu'on s'y arrête.
Ce papier a pour objectif de porter un regard interrogateur sur les relations "en ligne" [1], c'est à dire sur le relationnel inter-individuel qui se développe sur le réseau. Il convient de noter qu'il existe, en particulier aux USA et au Canada, une activité de recherche extrêmement vigoureuse sur ce sujet plus spécialement sur son versant social (naissance de nouvelles communautés, Internet comme facteur de liaison ou de dé-liaison sociale, etc.). Après avoir listé les outils mis à la disposition de l'internaute, nous nous focaliserons sur ce qui concerne les échanges intersubjectifs permis par Internet. Nous introduirons ce que la communication sur Internet nous semble avoir de particulier puis nous évoquerons les nouvelles formes de rencontre amoureuse sur Internet. Sur la base de ces réflexions, nous nous interrogerons ensuite sur l'image de l'autre élaborée par l'usager internaute. Enfin nous évoquerons ce que l'usage d'Internet peut avoir parfois de pathologique avant de conclure.

Cette communication est supportée par des données issues d'une étude que nous avons réalisée sur un échantillon d'une centaine de sujets internautes [Gervais00].

Un peu d'histoire 

Contrairement à ce qui fut colporté par les médias, Internet ne date pas de ces dernières années mais bien de plus de 30 ans. Son histoire n'est pas celle de la fraternité entre les hommes mais trouve son origine à la plus belle époque de la guerre froide entre russes et américains. L'armée américaine en pleine informatisation craignait qu'une attaque nucléaire russe puisse paralyser, par la destruction d'un de ses super-calculateurs, la force de riposte américaine. Naquit ainsi en 1957 un projet de l'ARPA (Advanced Research Project Agency) dont l'objectif était de mettre en réseau les ordinateurs de la défense nationale pour que des données sensibles puissent être communiquées de l'un à l'autre. Les premières pierres du réseau ARPAnet furent ainsi posées en 1970. Les quatre premières machines furent connectées alors et les premières expérimentations du protocole d'échange FTP (File Transfer Protocol) eurent lieu. Ce protocole est toujours utilisé aujourd'hui de façon très standard. Une deuxième communauté appelée Msg-group apparut en parallèle pour mettre en place un outil permettant à des personnes de communiquer à distance au moyen de leurs ordinateurs. Le premier message électronique fut échangé en 1969 au moyen d'un logiciel très proche de ce que sont encore aujourd'hui les logiciels de messagerie électronique. De réseau militaire qu'il était, ARPAnet donna naissance à d'autres réseaux dont NSFnet connectant les scientifiques. Dès le début des années 80, de nombreux chercheurs des communautés informatiques à travers le monde utilisèrent la messagerie électronique et les news groups, sortes de journaux électroniques thématiques où ils pouvaient échanger des points de vue ou des conseils sur tout sujet sans que ni la distance, ni le temps ne soient des obstacles à la communication. Un coup d'accélérateur vers l'accès grand public à Internet fut donné en 1993 par le CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire) au sein duquel un chercheur créa le World Wide Web (WWW), en bref "le web", dont le but était de pouvoir, sur chaque ordinateur, mettre à disposition d'autres physiciens connectés sur le réseau, des données ou des résultats sous forme de textes, images ou sons. Il introduisit un langage spécifique appelé HTML (HyperText Markup Language) toujours en vigueur aujourd'hui. En parallèle, dès 1988, des chercheurs mirent au point IRC (Internet Relay Chat), outil permettant de converser à plusieurs, connus ou inconnus, interactivement via leur ordinateur. En France, Internet démarra vraiment au sein du grand public autour de 1995 avec un formidable coup de publicité de Microsoft qui fit d'Internet un de ses arguments de vente de Windows 95. Les chiffres confirment la croissance exponentielle du nombre d'ordinateurs personnels dans les foyers et de l'utilisation d'Internet. Qui peut aujourd'hui échapper au matraquage des médias pour inciter à consommer de la communication soit au moyen des téléphones mobiles soit par Internet?

Usages d'Internet

Différents outils sont à la disposition de l'internaute; chacun de ces outils a ses spécificités quant à la forme de la communication induite. Nous introduisons ici ces différents outils pour le lecteur non familier; pour plus de détails sur l'utilisation de ces outils se reporter en annexe. Un certain nombre d'outils concernent la messagerie: l'émetteur écrit un texte qu'il enverra une fois terminé à un ou plusieurs destinataires comme on envoie une lettre. Dans cette classe d'outils, nous trouvons le courrier électronique où la liste des destinataires est à l'appréciation de chacun; cet outil est couramment appelé mail ou e-mail ou encore mèl dans une version francisée. En parallèle de cet usage individuel du courrier, il se trouve des listes de distributions autour d'un sujet d'intérêt; on envoie ainsi un message sur un thème donné à une adresse particulière qui redirigera ce message à tous les abonnés de la liste; ceux-ci recevront le message dans leur boite à lettres informatique sans que l'on sache forcément qui ils sont. 
Un outil un peu différent est le news-group. Le principe est le même que la liste de distribution en ce qu'il s'agit de regroupements par intérêt thématique mais avec une forme plus proche du journal traditionnel. Sur une thématique donnée, un utilisateur pourra envoyer un message au news-group; chaque internaute potentiellement intéressé par la thématique peut s'abonner; dès lors il pourra aller consulter quand il le désire, à une adresse particulière, la liste des messages envoyés par d'autres, et éventuellement y répondre. 

Une autre classe d'outils concerne les échanges interactifs; le "talk" permet de converser via l'ordinateur avec un utilisateur particulier; le message est envoyé de l'émetteur au récepteur à mesure qu'il est écrit sur le clavier. Le "chat" permet de converser à plusieurs sur un thème donné de façon également interactive. Ces outils donnent une certaine illusion de la présence de l'autre. Les groupes de discussions de type "chat" sont une espèce de lieu virtuel de retrouvailles avec des personnes connues ou inconnues. On trouve également un certain nombre de jeux "en ligne", appelés MUDs (Multi-User Dungeons), souvent jeux de rôles ou de stratégies où plusieurs internautes peuvent sélectionner leur personnage pour entrer dans le jeu, commencer la partie, la suspendre, la reprendre avec le même personnage; le jeu continue de se dérouler en leur absence. 

Enfin, un certain nombre de services de toutes sortes sont offerts ou vendus à l'internaute; il peut accéder à de nombreuses ressources par le moyen des sites web: on trouve ainsi des sites d'information, les médias (journaux, radios par exemple), des sites éducatifs, commerciaux, administratifs ou des sites personnels. L'outil de base d'exploration d'Internet s'appelle navigateur. Des outils de recherche, appelés moteurs de recherche, lui sont associés pour aider l'internaute à trouver ce qu'il cherche. Des programmes de téléchargement lui permettent de rapatrier sur son ordinateur des ressources mises à disposition sur certains sites (images, vidéos, textes par exemple). Il convient de noter que la plupart des utilisateurs d'internet utilisent le web et ses navigateurs, non seulement comme outil d'accès à des sites ou de recherche d'information ou de personnes, mais également comme outil d'accès à la messagerie ou au dialogue interactif. La figure 1 resitue ces différents outils les uns par rapport aux autres et par rapport à l'usage qui en est fait. contacts

Figure 1: Internet, ses usages et ses outils

On voit donc très rapidement deux types majeurs d'utilisation d'Internet: l'accès à des informations ou à des services distants et l'accès à des personnes distantes, connues ou inconnues. Comme [Kraut98], nous relevons deux fonctions à l'usage d'Internet: l'une d'elle est tournée vers la privatisation des loisirs, l'accès à information jusque là inaccessible, l'augmentation de compétences techniques, le commerce. Ces activités sont qualifiées par cet auteur, d'asociales - nous préférerons dé-socialisantes - en ce qu'elles ont pour conséquence de rendre l'individu plus indépendant et de lui permettre d'être plus facilement seul. La deuxième fonction est, à l'inverse, tournée vers la communication et la socialisation (maintien des contacts avec amis, collègues, familles, participation à des groupes, développement de nouvelles relations, mise à disposition de ressources, etc.). Nous qualifierons ces activités de socialisantes. On observerait donc un double mouvement antagoniste de liaison/dé-liaison sociale lié à cette pratique qu'il conviendrait peut-être d'approfondir. Comme nous l'avons déjà évoqué précédemment nous nous focaliserons, dans ce qui suit, essentiellement sur les échanges entre personnes.

La communication sur Internet

 

Les modes de communication, usuels aujourd'hui sur Internet, sont essentiellement textuels; si les transmissions de sons, d'images et vidéos voire de sensations tactiles sont dès à présent possibles techniquement et si elles autorisent la restitution relativement fidèle d'une réalité distante, ces outils restent d'usage encore assez confidentiels et ne s'adressent pas encore à l'échange inter-individuel grand public. Ces échanges textuels sur Internet ont un caractère souvent assez peu formel. 

Les échanges entre personnes peuvent être synchrones ou asynchrones. Dans le premier cas, - c'est l'utilisation du "talk", du "chat" - les individus qu'ils soient deux ou plus, ont l'illusion de converser interactivement comme ils pourraient le faire au téléphone ou en face à face, au bémol près de la charge du réseau qui peut ralentir les échanges et amoindrir l'illusion de l'interactivité verbale, et à celui de la spécificité de ce mode de communication sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin. Lorsque l'échange est asynchrone - c'est le cas des messages électroniques et des news-groups - les interlocuteurs dialoguent sous une forme plus proche de la lettre manuscrite conventionnelle. Dans l'étude que nous avons réalisée, le courrier électronique est l'outil préférentiellement utilisé pour 67% des sujets. Les outils de communication synchrone sont quant à eux surtout utilisés par la population jeune des internautes. 
Cependant, dans chacun de ces cas, la communication usuelle sur Internet a ceci de très particulier qu'elle est à mi-chemin entre l'oral et l'écrit - elle est probablement tout à fait autre chose, étant combinaison appauvrie de l'un et de l'autre. La communication textuelle confère à ce médium presque les mêmes caractéristiques de la lettre autrefois manuscrite, c’est à dire l’absence d’interaction directe entre l’émetteur et le récepteur. Pour un certain nombre de jeunes adultes que nous avons interrogés lors de notre enquête, les messages électroniques d'aujourd'hui remplacent la lettre d'amour d'autrefois. Ici, les quelques traces d’affectivité présentes dans l’écriture manuscrite sont cependant absentes en raison de la dactylographie qui est de rigueur [2]. Il y manque typiquement l'inflexion particulière de l'écriture quand un mot nous touche au point de modifier notre geste. D'une manière générale, il n’y a pas de communication non verbale dans cette forme d'échanges; et il n'y a pas de régulateur corporel des échanges. La messagerie électronique n'est pas non plus la lettre manuscrite en ce que la lettre traditionnelle et le livre ont un langage; c’est un langage narratif qui tient compte du décalage entre le moment de l'écriture et celui de la lecture. L'écriture s’insère dans une tradition vieille de plusieurs millénaires. La lettre met de la distance et du temps dans la relation. Pour Internet, la rapidité des échanges de messages (de quelques fractions de secondes à quelques heures) donnent l’illusion de l’immédiateté et donc de la discussion; l'informalité du style peut parfois donner l'illusion d'une certaine proximité relationnelle. Les messages, tout en étant écrits utilisent le langage parlé et perdent donc de leur substance circonstancielle et temporelle; ils sont dans l’instant. Cette illusion de conversation est encore plus entretenue dans les discussions de groupes de type "chat", car un même message peut être lu simultanément par plusieurs personnes pour une seule émission. Internet implique également une certaine mise à distance des repères spatiaux et temporels habituels. 
Sans véritable élément de repérage, sans langage corporel, sans prosodie, le message est certainement amputé d'une grande partie de son contenu. Un tel contenu permet traditionnellement l'accordage des interlocuteurs et la régulation de leurs échanges. Il peut résulter de cette absence d'accordage, des explosions d'agressivité ou l'éclosion incroyablement rapide de passions amoureuses. Dans l'étude que nous avons réalisée, les utilisateurs fréquents des "chats" ou forums de discussion soulèvent très souvent la question de la violence. Dans le contexte professionnel, nous avons pu rencontrer un autre type de violence, décharné, dans les mails incendiaires communiqués à des témoins divers - souvent les supérieurs hiérarchiques sur lesquels les imagos parentales peuvent être projetées - de la part de personnes qui sont les plus douces voire les plus timides lors d’un face à face. Cette colère, très proche de la décharge pulsionnelle pure, oublie-t-elle qu'elle est médiée par un autre et reçue par cet autre? De nombreuses publications confirment cet effet de décharge. Geneviève Lombard, philosophe, psychanalyste et internaute convaincue, relie l'âpreté de certains échanges dans des groupes de discussions à des phénomènes de transfert; elle dit dans son site web http://inconscient.net : "Le sentiment de la présence de l'autre (des autres sur les News) étant  bien évidemment lié à la capacité de transférer, il va varier selon cette aptitude et son contenu chez chaque sujet qui va laisser aller sur le Web le mouvement de son désir. Mais la virtualité de la rencontre(du moins dans un premier temps, car nombreux sont ceux qui cherchent à se connaître "en vrai"...) introduit des paramètres spécifiques à ces mouvements transférentiels… une oscillation extrême de tout à rien, de l'attrait au rejet, par exemple, dès que l'autre diffère pour très  peu de ce qui est projeté sur lui des suspicions que rien n'arrêtent faute d'éléments de la réalité qui permettraient de les dissoudre...". Le terme "transfert" est évidemment à entendre ici dans son acception psychanalytique. 

Par ailleurs, un élément important dans les "chats", semble être la possibilité du recours à l'usage de pseudonymes garantissant l'anonymat des interlocuteurs; la participation à une discussion de ce type ne nécessite qu'une présentation minimale des uns aux autres, présentation qui peut ne rien avoir à voir avec la réalité; fréquents sont ceux qui se ré-inventent, qui expérimentent un autre genre, une autre sexualité virtuelle. Du reste, l’anonymat du réseau et l'absence d'image corporelle débarrasse l’humain de ses différences, en écartant les problèmes d'apparence physique, de races, de religions, d’appartenance à une communauté. On peut donc y avoir une relation avec un "humain" débarrassé de sa couleur, un être partiellement abstrait, dépourvu de matérialité, de visage. Il est alors plus facile de faire de l’autre un objet d’usage. Est-il si surprenant qu'Internet soit né aux USA? Nous reviendrons un peu plus loin sur cette question de la représentation de l'autre sur Internet. Par ailleurs, l'usager du web peut avoir l'illusion que personne ne sait quels sites web il va visiter; il se laisse donc ainsi aller à sa curiosité. La sensation du regard social y est beaucoup atténué. L'enquête du CSA, "Les français et Internet" [CSA99], confirme que les sites à caractère érotique voire pornographique, sont parmi les plus visités par les internautes français à leur domicile. Plus généralement, "sex" est le terme recherché le plus fréquemment de par le monde par les moteurs de recherche et navigateurs du web. La mise à distance du corps peut à l'extrême faire plonger certains internautes dans une sexualité verbale tout à fait désinhibée, appelée "cybersex". Internet paraît être le lieu d’accomplissement de tous les fantasmes dès lors que le passage à l’acte semble évacué. [Cooper00] invoque la force du "Triple-A engine" en ce qui concerne le déferlement du sexe et de l'agressivité dans certains échanges du web: "Triple-A" ou "AAA" signifie Availability - le fait d'avoir à disposition facilement de nombreuses informations relatives au sexe et à la violence ou à des sujets socialement inacceptables, voire en marge de la légalité -, Anonymity - l'illusion de pouvoir y accéder sans que personne ne le sache -, et Affordability - le coût relativement peu élevé d'un tel accès. L'abandon du patronyme semble être un ressort important des éléments de transgression et de violence.

La rencontre amoureuse sur Internet

Internet est également un lieu de rencontre amoureuse. Nombreux sont les sites de rencontres, agences matrimoniales ou rubriques "petites annonces" en ligne, où chacun peut aller à la recherche de l'âme sœur. Mais nous nous intéresserons dans ce qui suit à un phénomène plus inhabituel. De nombreuses passions amoureuses voient le jour par l'échange électronique; la rencontre se fait le plus souvent dans un "chat" ou un "MUD"; après ce premier contact, et une première sensation de complicité ou une première attraction fondée différents éléments perçus dans ces échanges ([Baker98] cite le sens de l'humour, le style d'écriture, les qualités et intérêts décrits en ligne), deux participants amorceront un dialogue en a parte; ceci débouchera le plus souvent sur des échanges "directs" par mail qui seront rapidement de plus en plus nombreux et de plus en plus intimes [3]. Ces échanges résultent parfois en de violentes passions amoureuses mettant à mal ce que peut être la vie sociale et familiale des deux protagonistes. Relativement à ce colloque, Internet apparaît donc comme un curieux outil de rencontre amoureuse en ce qu'il met à distance le corps ainsi que la question de la séduction physique. Nombre de ces relations "en ligne" restent virtuelles. Cependant, certaines de ces rencontres amoureuses virtuelles deviennent de vraies rencontres et résultent en des relations amoureuses conventionnelles; le plus souvent des échanges téléphoniques précéderont la rencontre des corps. Un certain nombre d'études ont eu pour but d'analyser le devenir de ces rencontres en ligne (cf. [Baker98], [Baker00]). Parmi les relations construites sur ce mode, d'autres ne survivent pas à la rencontre des corps. Claude et Diane font partie de ces internautes qui ont expérimenté plusieurs fois ce qu'ils appellent l'illusion des mots; au raz de marée provoqué par les mots échangés au sujet de tout et de rien, a succédé la déception de la rencontre physique. Dans leur page web  http://pages.infinit.net/claudian qu'ils ont créée avec l'objectif de guider d'autres internautes au delà du piège de rencontres amoureuses en ligne trop faciles, ils témoignent de la brutalité du passage du virtuel à la réalité:

/… Alors que vous êtes en train de lire sur Internet les descriptions de ceux et celles qui se présentent, déjà l'imagination se met en action. Vous commencez peut-être à vous figurer ce que ces personnes peuvent bien avoir l'air et à les inventer selon vos propres fantaisies… Une annonce retient alors votre attention, celle qui colle bien à ce que vous recherchez, et vous voilà déjà en train de glisser vers le rêve… Et si c'était la bonne?! Et si cette fois, ça marchait? Vous tendez une perche… et dès que l'autre vous envoie une première missive intéressée, vous voilà sur la première marche du train. L'aventure prend son envol et tout risque de tourner à chaque instant. Une lettre, deux lettres, cinq lettres et vous voilà tenu sous le charme et enivré par tout ce que vous imaginez de l'autre. Les lettres affluent de part et d'autre, les cartes s'échangent, les déclarations s'échappent et c'est la folie qui rapidement vous emporte dans ce qu'elle a de plus merveilleux. Et peut-être de même que plus rien d'autre dans votre vie ne compte que cet Autre, celui ou celle qui vous semble drôlement extraordinaire! N'est-ce pas merveilleux?

 Oui, peut-être… sauf que… quand une passion virtuelle nous envahit à un tel point, peut-on imaginer maintenant comment il sera possible de revenir sur terre et ancrer cette relation dans la réalité? Si vous ne cherchez qu'une relation virtuelle, pas de problème, extasiez-vous comme bon vous semblera, puisque sans chute possible, il ne peut y avoir de blessés.

 Mais si vous voulez rencontrer cette personne, l'intégrer en vrai dans votre vie et expérimenter cette relation amoureuse, vous devez nécessairement prévoir la transition, prévoir le passage du virtuel au réel puisque c'est ce moment-là qui risque d'incarner le choc de la désillusion. Plus l'autre sera idéalisé, plus les attentes seront élevées et plus la réalité risquera d'être fatale: "ça passe ou ça casse". …/…"

 

Il est intéressant de relever dans le texte précédent les termes de "rêve", de "folie" qui rappellent combien l'utilisateur d'Internet va au plus près de sa réalité psychique; est-ce là, une forme moderne de psychopathologie de la vie quotidienne au 21ème siècle?

Alter ego  

La rencontre amoureuse pose la question du rapport de soi à l'autre. Dans [Hamman96], R.B.Hamman approche le rôle de l’imaginaire dans la construction de l’autre sur Internet. A titre d'illustration, l’auteur nous rapporte une expérience personnelle: pendant des mois, il entretient par courrier électronique une relation avec une jeune femme de son âge, Michelle, rencontrée dans un groupe de discussion de type "chat". Bien que résidant à dix minutes l'un de l'autre, ils choisissent de ne pas se rencontrer physiquement. R.B.Hamman a rapidement le sentiment d'être amoureux de Michelle. Ils se rencontreront finalement tout à fait par hasard dans un cinéma. Lors de ce face à face, ils s’aperçoivent qu’ils ne correspondent pas du tout à ce que chacun imaginait de l’autre, pire, qu’ils n’ont pas grand chose en commun. Très vite, leur "cyber-relation" cesse. L’auteur qui est un chercheur en sciences sociales, va compiler toutes les traces de cette correspondance passée et il s’aperçoit qu’il ne connaît en fait que très peu de choses sur sa correspondante: son imaginaire a fait le reste. Internet a ceci de particulier que la construction de la représentation de l'autre se passe, au moins dans un temps, de son image effective. La construction de cette représentation précède la rencontre des corps. L'intimité psychique précède, généralement de très loin, l'intimité corporelle faisant vivre une expérience très particulière à ceux qui expérimentent, volontairement ou pas, ce premier rendez-vous hors ligne. L'autre de la correspondance en ligne n'est peut-être pas si différent de l'être imaginaire auquel s'adressent certains journaux intimes.

Ces usages particuliers d'Internet nous interrogent donc sur la manière dont l’internaute voit l’autre, avec lequel il communique. Quel est donc cet autre dont il est question à travers Internet? On peut légitimement mettre en doute qu'il s'agisse d'une véritable présence reconnue au sens de l'échange intersubjectif. On peut citer ici un extrait (cf. [Chemana95]) de la définition relative au stade du miroir de Lacan tout à fait pertinent: "On reconnaît l’instance de l’imaginaire, la confusion entre soi et l’autre [cf. l’enfant qui voyant tomber ou frappant un autre enfant, pleure], l’ambivalence et l’agressivité structurelle de l’être humain. Le moi, c’est l’image. Le moi, c’est l’image du miroir en sa structure inversée. Le sujet se confond avec son image, et, dans ses rapports à ses semblables se manifeste la même captation imaginaire du double. Il s’aliène aussi dans l’image qu’il veut donner de lui; de plus, le sujet ignore son aliénation, et ainsi prend forme la méconnaissance chronique du moi; il en sera de même pour son désir; il ne pourra le repérer que dans l’objet du désir de l’autre". Certaines expériences relationnelles d'Internet semblent tout à fait relever de ce registre.

En écho à ce qui précède, Bernard Defrenet, psychanalyste, rappelle quant à lui, que dans toute relation objectale on trouve la trace du narcissisme et il souligne sa force quand cette relation passe par la médiation d'Internet; nous citons ici un extrait d'un texte qu'il a rédigé dans le site web relatif à l'Inconscient et au net. "Il me semble que tout rapport à l’autre, toute relation objectale mobilise un prolongement narcissique vers l’autre. Ferenczi a bien montré comment les mouvements constitutifs du Moi et de l’altérité ont une source profondément narcissique. Je pense en effet que les nouvelles formes de communication ne font que révéler de façon plus flagrante l’inscription du narcissisme au cœur de toute investissement objectal. Inscription qui serait plus cachée et recouverte dans les relations sociales usuelles. C’est ainsi que dépouillant la relation à l’autre de l’artifice social des conventions d’âge, de sexe, de situation, religieuse, … ces nouvelles formes de communication font surgir par cette fonction révélatrice, un nouveau tiers. Mais ce tiers était déjà là, constitué; il n’a pas été créé par le processus. Et si tous ces "drôles de moi" qui masquent une partie de leur identité, ces "autres virtuels" se répondent les uns les autres, c’est qu’ils restent en attente de quelque chose dans leur processus de subjectivation.". Internet permettrait ainsi par la mode de communication mis en oeuvre, la manifestation de ce que toute relation objectale a de plus narcissique et serait un lieu favorisant la poursuite du travail d'exploration de soi tel que défini par [Cornaton99]: "Le soi peut-être défini comme une recherche sans fin en vue de (re)constituer l’intégrité et l’autonomie du moi. C’est la quête à la fois de l’identité à venir et de l’identité passée, dans l’éternelle poursuite du paradis final et du paradis perdu".  

D'ailleurs, nous l'avons vu dans le travail d'enquête que nous avons menée, certains usagers trouvent par ce média une sécurité dans la mise en place de leurs rapports aux autres; cela est particulièrement notable chez les adolescents ou jeunes adultes: par ce média, ils n’ont pas besoin d’affronter la réalité affective des autres car ils la construisent en suivant leur désir. Ils peuvent expérimenter tous les affects et toutes les manières de se présenter au monde en toute sécurité. Ils peuvent également dissimuler tout ou partie de ce qu'ils sont évitant ainsi de se confronter à l'angoisse de castration. Cette question de la "dissimulation des différences", soulevée par certains utilisateurs dans l'étude que nous avons menée, est tout à fait intéressante: il convient de se demander quel sentiment d'identité peuvent ressentir les internautes à qui Internet permet de dissimuler leur jeunesse, leur condition sociale, la couleur de leur peau. N'y a-t-il pas quelques dangers à vouloir s'identifier au désir de l'autre pour se faire accepter de lui? Nous citerons ici Claude Lévi-Strauss: "… car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l'originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était suffisante pour que les partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles, indispensables entre les individus comme entre les groupes, s'amenuisent au point que les échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité."

Espaces transitionnels, aires de jeu, aires de symbolisation  

On peut ajouter que dans la communication sur Internet, on se retrouve parfois petit enfant; on joue. Citons ici un extrait des premiers échanges de Claude et Diane (extrait de http://pages.infinit.net/claudian)

…/… Diane: « tu as tout à fait raison, je veux TOUT savoir mais puisqu’il me faut faire un choix, je prendrai en premier celui qui concerne l’annonce, le pourquoi, son but, ce que tu cherches. »

         Claude: « Je pourrais te dire tout simplement: parce que j’ai envie de jouer! » …/…

 

La rencontre amoureuse est jeu, jeu des mots, jeu des corps. Sur Internet, on joue quelquefois à séduire l'autre par les mots, à être un autre, une autre, à s'approprier des traits de celui ou celle à qui l'on s'adresse ou d'un autre imaginaire. La rencontre y est aisée comme elle l'est pour les enfants. Immédiate. Pas besoin de présentation trop formelle des uns aux autres, de rituels sociaux ou culturels. Celui qui a un site web ouvre ostensiblement sa porte aux autres. Celui qui est sur Internet est comme l'enfant dans le square: en attente de jeu. Winnicott (cf. [Winnicott71]) nous dit, dans le cadre des processus transitionnels dont nous pourrions voir des traces dans le phénomène Internet: "il existe une troisième partie que nous ne pouvons ignorer, c’est l’aire intermédiaire d’expérience à laquelle contribuent simultanément la réalité intérieure et la vie extérieure. Cette aire n’est pas contestée, car on ne lui demande rien d’autre sinon d’exister en tant que lieu de repos pour l’individu engagé dans cette tâche humaine interminable qui consiste à maintenir, à la fois séparées et reliées l’une à l’autre, réalité intérieure et réalité extérieure." Et l'on rejoint ici la difficile question évoquée précédemment de délimitation de soi et de l'autre, du sujet et de l'objet dans l'expérience d'Internet. La dimension planétaire d'Internet associée à l'abstraction que représente le substrat du média informatique contribuent probablement à donner à l'internaute qui y aspire, le sentiment de participer à une espèce de super-organisme planétaire, lui faisant rejouer quelque chose de l'ordre de l'indifférenciation primaire. Internet entretient également à l'extrême la confusion des lieux physique et psychique.Par ailleurs, le face à face avec l'écran, réduisant l'activité motrice et la perception sensorielle, accentuent certainement cette tendance à faire d'Internet une aire transitionnelle, une aire de jeu; tout comme l'absence de regard du psychanalyste, dans le cadre conventionnel de l'analyse, distancie le réel et favorise l'éveil de l'imaginaire et l'expression du symbolique.Holland dans [Suler95] défend qu'Internet est un lieu de régression. Pour lui, la régression se manifeste dans les explosions de colère, dans l'expression des pulsions sexuelles et également par l'extrême de générosité qui se manifeste sur Internet. Il confère à la machine perçue comme objet phallique ou comme vecteur de sentiment de toute puissance, un rôle important dans cette régression.

Nouvelles pathologies ou nouveaux symptômes?  

Cette nouvelle technologie de la communication du tout, tout de suite, tout le temps, du tous ensemble, quel que soit le lieu et l'heure n'est-elle pas dans ses formes extrêmes une forme de refus de la séparation d'avec l'objet? Il nous semble que l'écrit conventionnel reconnaît l'autre et son absence. Le téléphone est un autre mode de communication qui, lui aussi, reconnaît l'autre mais défie l'absence en ramenant la voix de l'autre à son oreille. Dans son usage normal, il respecte tout de même assez bien l'intimité de chacun, lui reconnaît un espace physique qui lui est propre et privé. Qui viendrait en effet à téléphoner à un inconnu juste pour lui parler d'un sujet qui lui tient à cœur - comme nous pouvons le faire si facilement sur le web? Le téléphone a instauré un code d'échange relativement opératoire. Ce n'est certainement pas un mode de prise de contact d'un autre à l'exception des SOS qui ostensiblement sont un appel à l'autre préparé, organisé. Le téléphone portable en est une manifestation autre. Il dit la soif de contact, l'urgence de se retrouver. Il dit le refus de l'attente. Il nie l'usage d'un lieu de retrouvailles. L'Internet va plus loin dans ce refus de l'absence, de la séparation; son inconsistance géographique contribue probablement à cette fonction. Lieu de jeu pour certains, et élément structurant de subjectivation, il est pour d'autres dangereux en ce qu'il leur permet d'échapper à une réalité vécue comme trop frustrante; cela peut les conduire vers des comportements addictifs et quelquefois vers un véritable sentiment de déréalisation, allant jusqu'au déni de leurs besoins physiologiques élémentaires; ceci pouvant à l'extrême les mener à une issue fatale. Une littérature abonde à ce propos (cf. [King96], [Young98]). Ces auteurs ont montré que certains utilisateurs sont devenus addictifs à l’usage d’Internet. D'autres auteurs [Putnam00] rapportent des comportements sexuels compulsifs favorisés et entretenus par Internet. Nous renvoyons le lecteur intéressé au site http://netaddiction.com. Ces addictions semblent très proches de l'addiction au jeu ou à des substances toxiques sur la base des éléments diagnostics du DSM-IV. Un draft du DSM-V intègre d'ailleurs, en tant que telles, les addictions aux ordinateurs et à leurs usages. Les "Internet-omanes" sont généralement de récents utilisateurs d'Internet, souvent jeunes et de sexe masculin, et ils utilisent plutôt le "chat" et le MUD (discussions interactives et jeux de rôles en ligne) que le courrier électronique et le web. Certains auteurs voient ces pathologies addictives comme des pathologies primaires. D'autres, desquels nous nous sentons plus proches, estiment qu'il s'agit d'une pathologie secondaire. Selon cette approche le comportement addictif sur Internet serait alors l'expression d'un symptôme.
Notons, qu'à l'inverse, certains psychothérapeutes, tirant profit de ce qu'Internet a de particulier en matière de communication intersubjective et de phénomènes de transfert, proposent des "cyber-thérapies" ou thérapies en ligne, en complément ou comme alternative à une thérapie plus classique.

Conclusion

Nous l'avons vu rapidement dans ce papier, l'un ressorts fondamentaux de ce qui anime l'internaute est la quête de l'autre - donc la quête de soi. L'autre ressort que nous n'avons pas abordé ici est la quête du savoir. On peut arguer, comme le fait [Stone95], que la faible bande passante [4]. de la communication qui se construit sur Internet produit du manque, dans le sens où Jacques Lacan l'entendait, et ce serait ce manque qui engendrerait ce mouvement de l'imaginaire et cette activation du fantasme. Y a-t-il tant d'autres "lieux" où l'autre est si puissamment "Alter ego"? Parce qu'il nous porte aux limites d'un monde onirique défiant l'espace et le temps, Internet peut certainement être au plan subjectif un fantastique média de communication avec soi-même lorsque le Moi est suffisamment fort et structuré pour ne pas glisser vers des comportements pathologiques. Gérard Pommier [Pommier], quant à lui, nous parle du "corps angélique du post-modernisme". Pour lui, le corps fait ancrage entre un mouvement en arrière vers le Moi Idéal et le mouvement de l'avant vers l'Idéal du Moi, entre passé et futur, entre jouissance et lien social. L'abandon des idéaux sociaux, religieux ou de progrès, entraînerait l'homme post-moderne à un mouvement essentiellement régressif et à l'abandon d'un corps sexué pour un corps angélique incestueux. Ces deux approches constituent certainement des pistes de réflexion très intéressantes pour les phénomènes que nous avons abordés ici. De très nombreuses questions restent à approfondir. En effet, nous n'avons fait ici qu'introduire un certain nombre de ces questions qui nous sont apparues de plus en plus pressantes notre expérience d'Internet grandissant. Gageons que l'intérêt croissant de la population française pour Internet suscitera un intérêt tout aussi important de la part des chercheurs de la communauté des sciences humaines qu'ils soient philosophes, psychologues, sociologues ou tout simplement curieux de comprendre les ressorts de l'engouement irrationnel pour cet étrange outil de communication qu'est Internet.

 

JOCELYNE TROCCAZ
TIMC/IMAG - Faculté de Médecine - Domaine de la Merci - 38706 La Tronche cedex - France

jocelyne.troccaz@imag.fr
http://www-timc.imag.fr/gmcao

Bibliographie

[Baker98] - A. Baker: "Cyberspace Couples Finding Romance Online Then Meeting for the First Time in Real Life", Computer-Mediated Communication Magazine, Juillet 1998

Accessible en ligne http://www.december.com/cmc/mag/1998/jul/baker.html

[Baker00] - A. Baker: "Two by two in cyberspace: getting together and connecting online", CyberPsychology and Behavior, vol3, no2, pp237-242, Mary Ann Liebert Publisher, 2000

[Chemana95] - "Dictionnaire de la psychanalyse", sous la direction de Roland Chemana, éditions Larousse, 1995 [Cooper00] - A. Cooper, I.P. McLuohlin, K.M. Campbell: "Sexuality in cyberspace: update for the 21st century", CyberPsychology and Behavior, vol3, no4, Mary Ann Liebert Publisher, 2000

[Cornaton99] - M. Cornaton: "Le lien social - Etudes de psychologie et psychopathologie sociales", 2nde édition, Collection Système(s), L'interdisciplinaire, 1999

[CSA99] - Conseil Supérieur de l'Audiovisuel: "Les français et Internet", Etude Médiangles,

Accessible en ligne http://www.csa.fr/csaflash.htm  Novembre 1999

[Gervais00] - D. Gervais, J. Pertin-Troccaz, D. Rieussec-David: "Internet: fabrique de lien social ou fabrique d'exclusion?", Mémoire de Psychologie sociale, Licence de Psychologie, Lyon2, 2000

[Hamman96] - R. Hamman: "The role of fantasy in the construction of the on-line other: a selection of interviews and participant observations from cyberspace",

Accessible en ligne sur http://www.socio.demon.co.uk/fantasy.html,  1996

[King96] - S.A. King: "Is the Internet Addictive, or Are Addicts Using the Internet?" 

Retrieved November 99 from the www: http://www.concentric.net/~Astorm/iad.html

[Kraut98] - R Kraut, V. Lundmark, M. Patterson, S. Kiesler, T. Mukopahyay, W. Scherlis : "Internet paradox - A social technology that reduces social involvement and psychological well-being? ", American Psychologist, vol53, No9,  September, 1998

Accessible en ligne sur http://www.apa.org/journals/amp

[Pommier] - G. Pommier: "The angelic body of post-modernism",

Accessible en ligne sur http://www.apres-coup.org/archives/articles/pommier.html

[Putnam00] - D.E. Putnam: "Initiation and maintenance of on-line sexual compulsivity: implications for assessment and treatment", CyberPsychology and Behavior, vol3, no4, pp533-564, Mary Ann Liebert Publisher, 2000

[Stone95] - R.A. Stone: "The war of desire and technology at the close of the mechanical age", MIT Press, London, 1995

Extraits accessibles en ligne sur http://sandystone.com/violation-and-virtuality

[Suler96] - J. Suler: "Psychology of Cyberspace", accessible en ligne sur http://www.rider.edu/suler/psycyber

[Winnicott71] D.W. Winnicott: "Jeu et réalité - L'espace potentiel", Editions Gallimard,  1971, (Edition française 1975)

[Young98] - K.S. Young : "Internet addiction: the emergence of a new clinical disorder", CyberPsychology and Behavior, vol1, no3, pp237-244, 1998

Accessible en ligne sur http://netaddiction.com/articles/newdisorder.htm

 

Notes
1.  "En ligne" s'adresse à tout ce qui se passe lors de connexions sur Internet. On y opposera ce qui se passe "hors ligne", c'est à dire, hors de ce cadre de communication électronique.
2.  Quoique les nouvelles formes de messagerie puissent permettre depuis peu d'agrémenter le message d'éléments d'interprétation latéraux grâce à l'usage de différentes polices ou tailles de caractères, couleurs, etc: on parle de "texte enrichi". De même, les "smileys" ou "emoticons" (emotional icons) permettent d'introduire quelques éléments de codage en clair du contexte émotionnel:on utilise des symboles de ponctuation représentant des expressions de visage, qu'on lit en inclinant la tête vers la gauche; ces symboles peuvent exprimer la joie :-) , la colère :-(, l'ennui |-I , la tristesse :'-(,etc.
3.  Parmi les sujets ayant participé à notre enquête, 18% ont un sentiment d'intimité inhabituel et d'intensité de la relation lors de la communication sur Internet. Ces sujets sont très majoritairement des sujets jeunes.
4.  La bande passante caractérise la richesse potentielle de l'information transmise. C'est classiquement la gamme de fréquence qu'un système électronique peut traiter sans distorsion

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Je tiens à remercier Geneviève Lombard, Dominique Rieussec et Daniel Gervais pour leur contribution à cette réflexion.