La forêt des News   Geneviève Lombard juin 2000

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Il aura fallu un rêve pour que je puisse retrouver mon chemin….le rêve de la fin d’un rêve.. Comme je le disais dès le début, les parcours dans les News et sur le Web s’ils permettent rencontres, communications, apprentissages, développements de connaissance peuvent servir en un sens  aussi à l’auto-analyse continuée, et là est peut-être le motif profond de mon silence prolongé. 
Il y a eu pour moi dans cette expérience des News considérées comme un espace de jeu (square comme dit Jocelyne, cour de récré pour moi..) des développements particuliers touchant à trois séries d'« illusions» de base, lesquelles embarquent bien, par l’intermédiaire des « autres », quelque chose du «  grand Autre »…….
L’illusion de la présence
L’illusion de l’éternel squiggle
L’illusion de l’élan partagé
Que dire de la présence..? J’ai joué dans des news où il était possible de penser qu’il y avait toujours quelqu’un. Cette phrase « Y’a quelqu’un.. ? » est souvent écrite par les arrivants…. et une réponse finit par apparaître…Je me souviens des questions de 3°Type sur MSn forum général, et des commentaires de Lo, notre « facteur du dimanche » (oui oui sur les News on reçoit des colis le dimanche… ! c’était un colis d’emoticon..). J’ai pensé souvent moi-même à être là pour ceux qui passaient dans les temps de vacances, par exemple, où l ’activité du News baissait. J’ai été très émue de lire, sur un NG de Microsoft, les mots d’une femme qui venait d’apprendre le cancer de son petit garçon, et qui vient le dire là et de voir tout ce que les autres lui répondent, ou de cette autre dont le gamin avait fugué.. et de tant d’autres choses de ce genre..
Produire « de la présence » de trois manières : avec un petit mot de simple réponse( je vais parler plus tard de cet effet présence de la parole écrite  si particulière aux Mails et aux News, des effets «  ternaires » au milieu du « binaire » mais c’est justement le ternaire, si nécessaire, qui va amener les conflits et incompréhensions.. à suivre ), en postant des messages avec quelque chose de nouveau ( ce qui prouve que les choses ne se sont pas arrêtées..) et en répondant à la demande. Et c’est bien là qu’ est le problème, car en principe, sur un News, il est toujours répondu à la demande. Je passais encore hier dans un lieu virtuel connu et quelqu’un disait à quelqu’un : sois patient, je ne sais pas répondre à ta question mais ici, il y a toujours quelqu’un  qui répond... Et –d’une certaine manière –c’est vrai. Ainsi ai-je beaucoup demandé et beaucoup reçu…donné ce que je pouvais aussi. Jusqu’ au jour où….eh bien justement jusqu’au jour où le squiggle se casse, où l’espace potentiel de jeu est miné par un effet de réalité ou par un effet d’identité. Les hiérarchisations de toute espèce, qui étaient tenues éloignées de l’espace de jeu, se réintroduisent et alors la demande entre dans les métamorphoses bien connues :
Celui  ou celle qui demande : Est considéré comme ne sachant rien, faisant n’importe quoi etc.. Il ou elle n’a pas de suffisante « reconnaissance », est une forme de cannibale ou de vampire etc. de toutes manières est un mauvais enfant (et les bons enfants restent alors  ensemble, manipulant l’exclusion sans peut-être même  le savoir ;  ainsi se forme un clan et l’extérieur du clan sur les lieux où était née comme spontanément une petite communauté…)
Celui ou celle qui donne : Se met à faire ses comptes ou pratique un double-bind inconscient, ou encore limite ses dons ..etc etc.
Ceci fait apparaître clairement  que le cyberespace est traversé par des courants complètement antinomiques dont l’un m’est resté obscur pendant longtemps : la possibilité d’affirmation narcissique sans les entraves du surmoi, la possibilité donc de poursuivre une affirmation de soi sans limites (jusqu’au prix de « la mort de l’autre »), une cybermort qui dans ce cas va se manifester par la simple impossibilité -pour quelques uns - de continuer à s’exprimer là où ils s’exprimaient librement jusqu'alors.. Alors s’installe sur le lieu de la présence, le vide, et là où paraissait exister la reconnaissance de l’autre, les verrous. Dans le même temps, l'absent va changer de tonalité (mais je développerai ce point en répondant à Jocelyne, sur son texte présence-absence).

L’éternel squiggle?. .Du rêve de squiggle éternel, il n’y a rien à dire si ce n ’est qu’il relance les sublimations de l’enfance et qu’il en répète le processus : ce qui atteint les « squiggle » lorsqu’ils durent, c’est justement quelque chose qui se constitue à travers eux, grâce à eux et malgré eux : le phallus informaticus  on dira…(.....)……Dès que j’ai su réellement faire quelque chose, j’ai été aussi  moins sympathique à quelques uns que lorsque je  me contentais (avec grand plaisir !.) de mon rôle d’élève…Mais ce qui m’a le plus étonnée, c’est la cécité étrange qui peut se produire quand arrive quelqu’un qui sait vraiment beaucoup de choses et qui -sur certains points- est réellement en avance : messages complètement nouveaux ignorés, manières de faire élégantes et efficaces, sous-estimées.. etc , etc... Ceci(et tant d'autres choses du même ordre) dévoile ce qui se jouait de la « domination »..et c’est alors que j’ai commencé à ressentir pour de bon que le jeu n’était plus tout à fait du jeu, et que pour certains, il ne l’avait jamais été, ou si peu…Merci à ceux qui m'ont aidée pendant cette prise de conscience plus difficile que je n'aurais cru....MERCI.

J’en viens à mon rêve : Un grand élan ou peut-être une licorne (oui oui, ce n'est pas pour rien que la licorne de Serge Leclaire passe dans mes espaces virtuels..) que l’ on voit passant au bord de la forêt, de « la forêt des contes »(le petit chaperon rouge, Gustave Doré...) sur deux pattes (peut-être un ornithorynque s’autorisant un bref instant à prendre ses vraies dimensions.. ?)…Beaucoup de péripéties dans ce rêve dont celle-ci : après avoir mis des gants bleu-ciel (cornflowerblue), il sort de la forêt des News, vient vers moi et me montre, à terre, un livre, Michaux....(le précieux Fil de Poésie Dominicale..)..
« Emportez-moi
Emportez-moi sans me briser
dans les baisers.. »
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Oui, l’immense cyberspace est ouvert... Il emporte en lui et développe en lui toute la culture terrestre... Tous les élans qui cherchent la nouveauté et la convergence amicale y ont encore toutes leurs chances..  Savoir mieux  « le  négatif » -qui  s’y développe aussi- va seulement les rendre plus assurés, moins idéalisés, plus humains..

Bordeaux,juin 2000

« ..Le développement de l’intelligence collective de l’humanité est une montée d’amour, une montée d’intérêt pour le monde, une montée de créativité qui fait s’étendre et se multiplier l’intelligence des formes dans toutes les directions de la culture, de la nature, du réel et du virtuel.. » Pierre Lévy : World Philosophie  édit. Odile Jacob fev2000